Le propriétaire de l'appartement, Kostas, vient nous rendre visite tous les mois pour récupérer le loyer en espèces. Nous nous sommes arrangés comme cela pour que, ni lui, ni Justine et moi, n'ayons à payer les charges imposées par la plateforme Airbnb sur les loyers. Une fois par mois donc, je vais retirer ma part de loyer, c'est-à-dire trois-cent-soixante euros, à l'atm de la rue d'à côté. Je trouve cela un peu angoissant, tout de même de récupérer autant d'argent en liquide à l'étranger. Je jette des coups d'œil de part et d'autre de l'atm à chaque fois que je retire une importante somme d'argent, pour être sûre que personne ne me fixe d'un air louche.
Il est aux petits soins avec nous. La plupart du temps, il demande si tout se passe bien, si nous n'avons pas de problème dans l'appartement, si nous nous plaisons ici. Il nous donne dans le même temps des nouvelles de la situation sanitaire en Grèce, et des mesures que le gouvernement envisage. Il nous apporte régulièrement un petit quelque chose à manger, et nous fait cadeau pour Noël de deux mugs et d'une bouteille de vin.
Sinon, pour ce qui est des cours, je fais du mieux que je peux pour les suivre, mais étant donné que la plupart sont en grec je ne peux y assister. Nous n'avons pas pu nous inscrire au cours de grec proposé par l'université en début d'année scolaire, il n'y avait plus de place. Pour la plupart de mes matières donc, j'ai des essais à réaliser, ou divers exposés pour des travaux de groupe, mais je suis dispensée des partiels standarts.Un soir, nous invitons Lilla et Emma pour une soirée fajitas à l'appartement. Nous cuisinons tout, jusqu'à la pâte pour former les galettes. Je suis vraiment fière de nous. Nous jouons à divers jeux : à la Quinche à quatre, au président, au jeu de cartes hongrois que les filles nous ont appris. Le tout accompagné d'un peu d'alcool.
Un autre soir, nous sortons sur le port et admirons les lumières multicolores au sol générées par les stickers colorés collés sur les vitres d'un bâtiment culturel. Le décor est surréaliste. Des extraits de films sont projetés sur le mur du bâtiment d'en face. En guise de mobilier urbain, quelques transats gondolés en bois sont installés sur l'espace portuaire. Je m'assied un moment dessus. Je me souviens des soirées sur le port d'il y a peu, au mois d'Octobre, alors que le confinement n'était pas encore en place. Cet endroit est vraiment paisible.
Peu de temps avant les vacances, nous organisons une soirée pyjama chez nous, à quatre. Au programme : sushis et visionnage d'un film des studios ghilbi, Le château ambulant. Je ne connais pas beaucoup de film des studios ghilbi, mais cela faisait longtemps que l'envie me titillait d'en visionner quelques-uns. Quel bonheur. Juste avant, nous sortons acheter des pâtisseries et profitons des décorations de Noël sur la place Aristoteleous. Au milieu de la place, il y a des cubes rouges empilés les uns sur les autres avec des notes de musique dessinées dessus. Il y également une rangée de petites boîtes en verre avec des plumes voletant à l'intérieur. Ce sont des décorations de noël sont pour le moins originales, je n'avais jamais vu ça ! Nous dénommons notre groupe de quatre « Rrrr », avec quatre r. La lettre « R » en raison de sa prononciation française très poussée, multiplié par quatre pour désigner le nombre de membres qu'il y a dans notre groupe.
Nous organisons une soirée à l'appartement juste avant les vacances de Noël, avec Ian Charles Lépine, le garçon mexicain rencontré au début du semestre, sa copine Isabel, Lilla et Emma. Ian nous joue des airs de guitare, et nous l'accompagnons en chantant. Nous chantons en anglais, en allemand, en hongrois et en français. Ça me fait vraiment plaisir que l'on se retrouve ainsi, dans un mix total des cultures, juste avant les vacances noël. Une vraie ambiance Erasmus.
Je prend l'avion le lendemain matin pour la France, mais cela ne se fait pas sans péripéties : je me suis trompée de bus. J'ai confondu, car les bus prévus passent rarement aux moments auxquels ils sont annoncés sur le panneau. Je descends donc un certains nombre d'arrêts après le dépard du bus, et j'appelle une compagnie de taxi en baragouinant en anglais l'adresse à laquelle je me trouve pour qu'ils puissent me trouver. Arrivés à l'aéroport, le chauffeur de taxi me demande de le payer en cash. Le seul problème, c'est que je n'en ait pas. Je dois donc vite aller en retirer avant que mon avion ne décolle.
Je prends l'avion pour la première fois de ma vie toute seule. Dans la file pour embarquer, je croise deux françaises, Ambre et Thaïs, qui rentrent elles aussi en France pour les fêtes. Après tout ce qui m'est arrivé cette journée-là, je décide de ne pas aller leur parler, je dois d'abord me remettre de mes émotions. Je m'assois à ma place, les instructions en grec démarrent et l'avion décolle. C'est un tout petit avion Ryanair, aux coloris jaunes et bleus. J'ai payé mon billet seulement dix euros. Je me dis que c'est une chance incroyable de pouvoir prendre l'avion pour si peu cher. J'angoisse un peu pendant les instructions habituelles de sécurité des hôtesses de l'air. L'avion démarre, parcoure les quelques centaines de mètres nécessaire à son élan et décolle. Le moment du décollage est un sentiment que j'adore, je me sens libre.
De retour en France, je suis émerveillée par tout ce que j'ai vécu durant ces trois premiers mois en Grèce et je suis assez heureuse de la façon dont j'ai évolué. Je suis contente de retrouver certains éléments de la culture française, surtout culinaires : les fromages d'hiver, le pain, et puis aussi, mes petites habitudes. Je me rend compte que je me suis améliorée à la conduite après l'expédition au Mont Olympe, et que je suis plus à l'aise lorsque je parle aux gens de manière générale.
J'atterris à Paris et je pars voir Ornya dans son appartement, une de mes très bonnes amies de la licence d'architecture, pour une soirée. Je lui parle de mes premiers pas en Grèce. C'est étrange de se retrouver de nouveau dans le tumulte des transports parisiens et dans le brouhaha des conversations françaises après tout ce temps, mais je me rend compte que je m'y sent plus à l'aise maintenant. Le fait de retrouver cette culture familière me rend plus à l'aise, tout est plus facile. Avec Ornya, (O de son surnom), nous commandons des burgers, et discutons un long moment. Je suis contente de retrouver ma meilleure amie. Je prends ensuite le bus de nuit direction Trévoux, mon village natal dans l'Ain.
J'arrive à la maison, à Trévoux. Je suis heureuse de revoir ma famille et mon chat, Canisse. Le Covid est bien présent en France : je dois faire un test PCR avant noël et lors des fêtes, et nous prenons également la précaution d'enfiler un masque à chaque fois que nous nous levons. Surtout, nous gardons nos distances avec mes grands-parents. Le jour de noël, chez nous, mon père joue de l'accordéon et ma sœur et moi jouons quelque airs de piano pour réchauffer les cœurs.
Je profite de ces vacances en France pour avancer sur mes deux projets d'architecture ainsi que dans l'écriture de mes essais qui remplacent mes partiels. Je suis fière de moi car j'ai progressé sur Twinmotion, un logiciel de rendu réaliste en trois dimensions que Justine m'a montré. Je modélise sur ce logiciel des planches qui serpentent au-dessus d'un ruisseau pour mon projet de « design landscape », des escaliers, toute la nature autour, un belvédère.
Le projet me fais un peu penser à un jeu vidéo, je le trouve vraiment pas mal. Ma partenaire de projet, Panagiota, ne m'aide pas trop, j'effectue donc une grande partie du travail par moi-même. En plus de cela, nous étions censées être quatre au sein du groupe, et nous avons donc à nous deux deux fois plus de travail à fournir... Mais je me dis que ce n'est pas grave, au moins nous avons un peu plus de liberté pour la partie conception et les échanges que nous avons par Zoom sont plus fluides. Peu à peu j'améliore mon anglais. J'occupe mes journées également en joignant mes professeurs par appel vidéo avec mes partenaires de projet, ainsi qu'en finissant de rédiger mes essais pour les autres matières.
Un jour au début du mois de Janvier, il neige beaucoup à Trévoux. En général, il neige environ une ou deux fois par mois dans l'Ain, je trouve ça vraiment chouette, nous en profitons souvent pour faire des bonhommes de neige et quelques batailles de boules de neige avec ma sœur. Ce jour-là, nous nous rendons chez nos grands-parents à pieds, qui habitent à quinze minutes de chez mes parents, et nous construisons deux petits bonhommes de neige que nous prenons en photo.
Je retourne à Paris pour voir Ornya un peu plus longtemps que lors de mon passage le jour de l'atterrissage en France. C'est la période des soldes d'hiver, nous partons donc faire les magasins pendant un moment. Je trouve de jolies petites bottines à talons en velours et des boucles d'oreille. Nous devons respecter le couvre-feu, qui est fixé à dix-huit heures en France ces temps-ci, et nous ne rentrons donc pas trop tard.
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La ville douce
Non-FictionCe récit retrace les aventures d'une jeune étudiante de 22 ans en Erasmus en Grèce à Thessalonique pendant un an durant le Covid. Il parle d'histoires d'amours, d'amitiés, de la culture grecque, d'erreurs et d'apprentissages... La narratrice a vécu...