Note N°4

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     Mes traces de pas sont devenues des traces de sang. Je ne suis plus qu'un cadavre sur pattes. Un corps tout frais, à peine éviscéré, qui déambulait encore jusqu'à il y a quelques minutes, la chair à vif. Je suis parvenu à me glisser dans le bus, sans savoir si j'ai l'impression idiote d'avoir atteint mon but ou si je veux me laisser mourir ici. Je me suis assis sur le premier reste de siège et je le vis sans y croire. Sur le siège d'à côté était posé mon carnet, intact et ouvert à la première page, redevenue vierge. Pourtant, je l'avais bien sur moi quand je me suis fais déchiqueter. Je ne distingue plus le fond du bus alors que la carlingue entière était visible depuis l'extérieur. Mais « il » est là, dans ce marasme de noir tout au fond. Il m'a parlé :

COMME JE SUIS HEUREUX. JE VAIS POUVOIR T'Y AMENER.

— Laissez ma grand-mère tranquille, je ne suis venu que pour ça. C'est un sacrifice.

C'EST TRES LOIN D'ÊTRE CELA. TU N'AS PAS IDÉE. MAINTENANT VIENS. NE T'INQUIETE PAS TOUT VA BIEN.

— Ne souris pas, ça s'entend et ça te donne un ton détestable.

     Ma voix ne ressemble plus à rien. Ça fait un moment que j'attends sur ce siège, que je me torture, que j'essaie de retranscrire tout ce qui est arrivé sur ce petit carnet dans l'espoir que celui qui se retrouve un jour dans ce même bus, après avoir entendu la voix du moro-sphynx sache qu'il n'est pas seul. S'il y en a un autre, traîné ici par cette entité absurde, c'est que cette chose ne m'aime pas moi, personnellement, comme elle semble le prétendre. C'est que d'autres sont passés et que d'autres passeront.

     Je ne peux plus qu'entendre et écrire. Je dois aller voir. Je suis mort maintenant, ou condamné à rester ici et souffrir, ou les deux à la fois. Si je n'y vais pas, rien de tout ça n'aura servi à quelque-chose vous comprenez ? Bien sûr que vous comprenez. Vous avez vécu la même chose pas vraie ? Ha oui, j'en étais sûr ! Non ? Pas tout à fait ? Bon ! Au moins vous savez que ce n'est pas grave si vous ne savez pas comment vous sentir. Bordel c'est pas notre faute, ça dépend pas de nous.

     Frschiiit.

Tendresse AnimaliaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant