Prologue - Le Jugement Dernier

136 9 11
                                    

Le feu a quelque chose de fascinant. Aussi terrifiant qu'hypnotisant. Il dévore tout sur son passage, les bâtiments, les plantes mais surtout... Les souvenirs. Il les recouvre de ses flammes, les caresse pour mieux les dévorer et une fois fait, il ne reste plus rien. Juste des cendres et le silence. Un silence pesant mais aussi réconfortant. Adieu les hurlements de douleur et les sanglots de désespoir. C'est comme si tout une page de mon histoire se tournait enfin.

J'allume mon briquet une fois, puis l'éteint. Je recommence mon action plusieurs fois tout en fixant les flammes perdre leur ampleur sous l'assaut des pompiers. Les regards des voisins pèsent sur moi et je sais parfaitement ce qu'ils pensent. 'Ce n'était qu'une question de temps'. Personne n'est dupe. Tout le monde sait que l'incendie était tout sauf accidentel, exceptés les pompiers et la police, évidemment. Mais quand la police interroge les voisins, tous feignent un sourire en prétextant que j'ai toujours été maladroit. Personne n'avouera la vérité. Cela ne ferait que leur rajouter des problèmes. Ils ne pensent qu'à eux, qu'à leur confort et la réputation du quartier déjà bien ternie. Pour une fois, je remercie leur individualisme.

"Avez-vous un endroit où loger ?" Me questionne un policier avec sollicitude tout en posant sa main sur mon épaule.

"Oui, un ami habite pas loin... Ses parents accepteront de m'héberger", je le rassure d'une voix faussement tremblante.

Il acquiesce avec un sourire rassurant et une fois hors de sa vue, mon expression revient à son indifférence habituelle. Un logement hein... L'ami évoqué ne m'a pas parlé depuis des années, quant à une possible famille... Un rire jaune s'échappe de mes lèvres, ce qui attire l'attention. Je feins de pleurer en essayant de calmer mon rire. Une famille. Quel mot incongrue pour une personne comme moi. Oh, j'en ai bien eu une, fut un temps. Une mère, un père et même un chien. Une famille parfaite et harmonieuse. Jusqu'au jour où mon père a poignardé ma mère à mort lors d'une crise de folie. Après ça, le mot « famille » n'a plus eu aucun sens pour moi.

Il me reste bien mon parrain et son mari, mais après le décès de mon père, ils n'ont plus jamais été les mêmes. Ma simple vue faisait remonter en eux les souvenirs de leur enfance avec mon père, leurs moments de joie et sa déchéance. Ils n'y arrivaient pas. Ils n'étaient plus capables de m'aimer après la perte de mes parents. 

Et puis, d'autres amis chez qui loger ? Encore faudrait-il avoir des amis pour ça. Dormir sous un pont en été, ça ne doit pas être si horrible que ça, non ? Et puis si jamais quelqu'un m'attaque pour me voler mes affaires et que je meurs malencontreusement, ce ne sera que le destin. Ce n'est pas comme si je tenais réellement à ma vie. Ça fait bien longtemps à présent que je survis plus que je ne vie. La seule raison pour laquelle je n'ai pas encore quitté ce monde est que je suis trop lâche pour mettre un terme à ma vie par moi-même.

Je rallume mon briquet une dernière fois, observant la maison de mon enfance à présent réduite en cendre et tourne les talons, déterminé à ne plus jamais revenir à cet endroit.

***

'Vous avez un nouveau message'.

J'hausse un sourcil face à la notification. Plusieurs heures se sont écoulées depuis que j'ai mis feu à la maison. J'ai marché longtemps avant de trouver un pont plus où moins éloigné de toute civilisation, où seuls les bruits des grillons et du fleuve troublent ma tranquillité. Mes yeux commençaient à se fermer jusqu'à ce que mon portable m'agresse de lumière. Personne ne me contacte habituellement, alors pourquoi maintenant ? Ah, peut-être que certaines personnes ont su pour la maison et en toute hypocrisie, m'envoient leur soutien ? Mais contrairement à mes pensées, ce n'est qu'une alerte météo. Apparemment, des orages sont prévus. Étonnant considérant la clarté de la nuit. Je mords ma lèvre.

Le Jugement dernierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant