Les raisons voilées

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Dans la complexité kaléidoscopique des désirs humains, le concept du bonheur se pare d'une multitude de facettes. Pour certains, l'abondance financière représente l'apogée du bien-être, tandis que d'autres trouvent leur béatitude dans les liens familiaux, la conjugalité et la paternité. Toutefois, ma perspective diffère, se frayant un chemin peu fréquenté. À mes yeux, le bonheur se présente comme une invention de l'âme vulnérable. Un individu fortuné peut arguer que la richesse ne forge pas le bonheur, puisqu'il peut avoir éprouvé cet état bien avant d'atteindre l'opulence. Cependant, une plongée plus profonde révèle que, dans le noyau de son désir d'opulence, il y avait l'aspiration intrinsèque au bonheur. De la même manière, un démuni clamant que l'argent ne façonne pas le bonheur peut simplement masquer sa réticence à poursuivre la richesse. Tel un visage moins avenant dissimulé derrière la richesse intérieure, il préfère l'authenticité à la brillance extérieure. En vérité, le bonheur agit comme une excuse, un écran derrière lequel on se dissimule, faute de courage. Une assertion forgée par mon vécu personnel.

Je me nomme Aminata Diop, une âme hissée sous l'emblème sénégalais. Orpheline depuis les premiers souvenirs de ma mémoire, les étreintes parentales m'ont été étrangères. J'ai trouvé asile à l'orphelinat Ibrahim Ali, un refuge où ma franchise abrupte a dessiné des abîmes entre autrui et moi. Cette honnêteté, si souvent critiquée, m'a marginalisée, me transformant en fardeau indésirable pour ceux qui auraient pu devenir ma famille. Mes années au sein de cette institution ont été teintées de solitude, exacerbée par ma franchise sans détour, une rareté dans le paysage africain où la vérité est souvent reléguée à l'arrière-plan.

Les saisons se sont succédé jusqu'à ce que mes dix-sept printemps marquent l'entrée dans le territoire de l'inconnu. Le seuil de l'institution s'est refermé derrière moi, laissant place à un monde où je devrais affronter la dure réalité des rues sénégalaises. Pour une jeune femme, cela ne relevait pas seulement de la difficulté, mais de l'extrême précarité. L'absence d'apparence idéale et mon franc-parler m'ont isolée davantage de la bienveillance humaine que je désirais ardemment. Alors que le seuil de l'orphelinat se refermait derrière moi, j'ai été jetée dans l'arène de l'inconnu.

La routine des emplois que j'endossais était éphémère, ne survécant guère plus de deux cycles lunaires. En l'espace d'une année, j'ai jonglé entre six emplois différents, chaque nouvelle tentative se soldant par un échec cuisant. Et puis, telle une étincelle prenant vie dans l'obscurité, la danse a fait son apparition. Une passion envoûtante, murmurant des secrets à mon âme. Cependant, l'ombre de la peur, cette entité froide et dévorante, a brimé mon élan. L'appréhension et l'angoisse, les jugements silencieux d'une audience imaginaire, ont étouffé les mouvements qui germaient en moi. Je dansais dans les couloirs de mon esprit, des chorégraphies invisibles, des échos de ce que j'aurais pu être.

À l'aube de mes dix-huit ans, j'avais amassé une poignée de pièces, un trésor qui m'a permis d'acquérir un humble abri. Néanmoins, mes économies ne pouvaient soutenir qu'un loyer éphémère. J'ai consenti à payer sept mois d'avance, sept mois de refuge avant que l'incertitude ne m'enserre à nouveau. C'était là, dans le sanctuaire de mon chez-moi, que je répétais mes pas solitaires. Entre ces quatre murs modestes, je façonnais des danses imaginaires, des compositions qui prenaient vie dans les recoins de mon esprit. Chaque jour, je descendais au parc, observant les corps en mouvement, absorbant les danses qui s'élevaient autour de moi. Et chaque nuit, je recréais ces danses dans l'intimité de ma solitude, chaque mouvement un hommage à l'avenir incertain qui m'attendait.

Le parc est devenu mon havre, un endroit où la danse s'épanouissait comme un jardin secret. Les semaines passaient, les saisons évoluaient, et avec elles, les danseurs qui peuplaient le parc de leurs pas gracieux. Parmi eux, une figure s'est détachée, un homme malien d'origine, enveloppé d'une aura intrigante. Une présence envoûtante, captivée par les danseurs qui évoluent avec une grâce hypnotique. Une silhouette solitaire, perdue dans les méandres de sa propre musique grâce à ses écouteurs fidèles. Son apparence dégageait une combinaison étrange de décontraction et d'effort, comme les marques laissées par le temps sur une œuvre bien travaillée. Une certaine timidité se mêlait à une lueur d'envie dans son regard, créant une dualité fascinante. Chaque soir, il était là, une toile silencieuse parmi la foule bruyante, un spectateur attentif aux histoires qui se déroulaient devant lui.

Les jours s'étiraient en semaines, les semaines en mois, et sa silhouette devint familière, presque attendue. Il était devenu une partie intégrante de cet endroit en constante transformation. Une force tranquille, un pionnier silencieux, témoin de la beauté éphémère des danses qui prenaient vie sous le ciel nocturne. Cependant, une question avait commencé à me hanter : qu'est-ce qui l'attirait autant dans cet univers de mouvements et de rythmes ?

Ce soir-là, j'ai choisi de braver le voile du silence qui nous séparait. Le soleil avait disparu derrière l'horizon, laissant place à la lueur douce de la lune et aux étoiles scintillantes. Le parc était un théâtre vivant, illuminé par les mouvements gracieux des danseurs. Mon cœur battait un peu plus fort alors que je m'approchais de lui, prête à percer le mystère de sa présence assidue. Il tourna la tête vers moi, ses yeux s'éclairant d'une lueur d'étonnement, mêlée à un soupçon d'anticipation.

Un sourire timide se dessina sur son visage alors qu'il me saluait d'un geste de la tête. "Bonjour", commença-t-il, sa voix douce comme un murmure du vent nocturne. "Je vous ai remarquée observer les danseurs avec une telle attention chaque soir. Qu'est-ce qui vous attire tant dans la danse ?"

Ma respiration était suspendue alors que je le regardais, captivée par sa présence et intriguée par sa question. "C'est comme si chaque danseur avait une histoire à raconter, une émotion à exprimer à travers ses mouvements", répondis-je, laissant ma voix porter ma propre fascination pour cet art envoûtant. "Quand je les regarde, je sens que je peux ressentir ce qu'ils ressentent, même sans mots."

Son regard se plongea dans le mien, et pour un instant, je crus voir des étincelles de reconnaissance. "Vous avez raison", dit-il doucement. "La danse est une forme d'expression qui transcende les limites des mots. C'est un moyen pour les danseurs de communiquer des émotions profondes, de raconter des histoires sans avoir besoin de phrases."

Une connexion s'était établie entre nous, une compréhension tacite qui allait au-delà des mots. Nous étions deux âmes, étrangères l'une à l'autre jusqu'à ce moment précis, partageant un instant d'intimité à travers la contemplation de la danse. "Vous venez ici chaque soir", dis-je doucement, "y a-t-il une raison particulière pour laquelle vous êtes si attiré par cet endroit ?"

Il resta silencieux pendant un moment, ses yeux fixés sur les danseurs qui tournoyaient devant nous. Puis, après un soupir léger, il se tourna vers moi, ses yeux brillant d'une lueur mélancolique. "C'est peut-être ma façon de lutter contre les regrets. J'ai toujours désiré faire quelque chose, mais je n'ai jamais eu le courage de me lancer. Et maintenant, je crains que ce soit trop tard."

Ses paroles résonnaient en moi, touchant une corde sensible. Je sentais qu'il y avait plus à sahistoire, une histoire qu'il n'avait pas encore partagée. "Vous savez, il n'est jamais trop tard pour réaliser vos aspirations", répondis-je avec un sourire encourageant. "La vie est façonnée par nos choix et nos décisions. Si vous avez le courage de franchir ce pas, peu importe quand, vous pourriez être étonné de ce que vous découvrirez."

Un sourire léger étire ses lèvres, une lueur d'espoir dans ses yeux. "Peut-être que vous avez raison", dit-il doucement. "Peut-être que le moment est venu de laisser derrière moi les regrets et d'explorer ce que je pourrais encore accomplir."

Dans ce coin tranquille du parc, sous la toile étoilée de la nuit, une amitié naquit. Nos chemins s'étaient croisés d'une manière inattendue, deux individus unis par leur fascination pour la danse et leurs luttes intérieures. Une page nouvelle s'était tournée dans nos vies, et je sentais que nous étions sur le point de découvrir bien plus que ce que nous aurions pu imaginer.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 26, 2023 ⏰

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Une dernière danseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant