Partie 4 : Amarrage

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Cela dura trois secondes.

Une seconde pour qu'ils réalisent que tout deux pensaient à la même chose. Une seconde pour qu'ils se rapprochent d'une manière à peine perceptible. Une seconde de flottement pendant laquelle ils hésitèrent...

...avant d'éclater de rire.

Alors qu'il reprenait ses distances, Arnaud plaça une main devant sa bouche tandis que Jeremy leva le nez au ciel, tout deux riant à pleines dents en faisant vibrer leur voix grave en harmonie.

Il valait mieux en rire qu'en pleurer, c'était le mantra de leur métier.

« C'est pas de notre faute, c'est la biologie.» Lança Jeremy.

L'ainé essuya une larme faite d'hilarité et d'aigreur au coin de son œil.

« C'est à cause d'un pic de testostérone pendant notre phase prénatale, pour être précis.» Compléta Jeremy en passant une main dans ses cheveux de jais. « La présence ou non de ce pic fixe à tout jamais notre orientation sexuelle.»

« Ces putains d'hormones ! » S'indigna l'ainé en replaçant ses lunettes sur son nez.

Le navire tient bon.

Ils échangèrent un regard qui en disait long sur l'amertume et les regrets qui les saisissaient. C'était cependant une rechute normale après qu'ils aient navigué trop longtemps dans leur histoire d'amour fictive.

Le problème était qu'en se retrouvant ainsi face à face à évaluer l'éventualité d'un baiser, la réalité les avait brutalement ramené sur la terre ferme.

Et la réalité est qu'aucun des deux n'avait ressenti le désir de s'embrasser. Ce désir qui aurait dû les saisir et leur donner envie de se jeter physiquement l'un sur l'autre pour assouvir une faim corporelle. C'est du moins ce qu'ils pouvaient s'attendre à ressentir envers une femme...

Hélas leur corps ne réagissait pas à l'approche d'un autre homme, qu'importe toute l'admiration qu'ils se portaient. C'était plus fort qu'eux, c'était au delà d'eux, il n'y pouvait rien. Toute la volonté du monde ne pourrait rien y changer car il ne s'agissait pas d'un choix mais d'une condition prédestinée avant même leur premier souffle.

Cela faisait bien longtemps qu'ils auraient réalisé leur bisexualité si elle avait existé. À 38 et 48 ans, ils avaient eu le temps de s'en convaincre et d'expérimenter si besoin.

Non décidément, leur sexualité était fixée depuis des lustres.

Jamais ils ne prendraient leur pieds à coller leur lèvres ensembles. Jamais ils ne connaîtraient ce désir sexuel qui rend l'atmosphère irrespirable. Jamais ils n'auraient envie de se tenir la main en public pour montrer au monde leur amour inébranlable.

C'était à présent clair et net comme de l'eau de roche, les doutes avaient coulé à pic. Concernant les regrets, c'était cependant une autre paire de manches...

« Je trouve ça dommage.» Conclu Arnaud dans un soupire déchirant. «On aurait été un beau couple.»

La pudeur avait réussi à s'en aller : désormais l'aîné osait parler à cœur ouvert. Et pour cause, l'ambiguïté avait pour de bon disparu pour laisser place à la franchise décomplexée.

« On est déjà comme un vieux couple, triple imbécile.» Nota vivement Jeremy. « J'éduque plus Albert que toi, on se chamaille sans cesse, tu as les clés de chez moi et inversement, tu es le parrain de mes chiens, tu as une étagère dans mon armoire avec des affaires à toi, tu voles mes pulls, tu squattes chez moi plusieurs jours par semaine, on a des débats devant le 20h... "

L'océanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant