~ Chapitre 3 ~

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   - Pourquoi je dois en porter trois !? se plaint Aymane.
  
   Younes, sans prononcer un mot, enclenche le pas pour retourner à la maison... un seul bidon sur le dos.
  
   - Attends ! Eh ! Tu n'as aucun droit de me faire ça !
  
   Younes avance toujours, laissant son petit frère galèrer pour porter trois bidons d'eau, remplis à ras le bord.
  
   - Tu me le payeras ! se résigne le petit frère en portant, tant bien que mal et avec tellement d'amertume, son fardeau aquatique.
  
   Les garçons de retour, Farah est incrédule devant ce qu'elle voit à travers la fenêtre.
  
   - Regarde tata. Pourquoi Aymane porte trois bidons ? Et Younes n'en porte qu'un !
  
   - Pourtant il n'a pas l'air mal au point... constate Khaoula en jetant un œil à la fenêtre. Viens Farah, on va les accueillir.
  
   Younes et Aymane sont à dix pas de la maison lorsqu'elles sortent de la maison.
  
   Le cadet avance à pas effrénés, la tête vers le sol. Il dépose ses trois bidons devant sa tante sans pour autant sentir un grand soulagement, et se rue vers sa chambre sans adresser le moindre salut.
  
   L'aîné, lui, avance lentement vers les regards interrogateurs qui le fixent avec inquiétude.
  
   Il s'arrête net près des trois récipients, il regarde sa sœur en gardant son bidon pendu par sa main.
  
   - Qu'est-ce que tout cela veut dire Younes ? finit par lâcher sa tante.
  
   Il reste silencieux pendant quelques instants, puis décide de révéler l'arrière de ses pensées, en ne lâchant pas sa sœur du regard.
  
   - Je vais vous laisser quelque temps. Aymane doit s'occuper de vous pendant mon absence.
  
   - Quoi ? Pour aller où ? s'inquiéte Khaoula.
  
   Farah fixe son frère avec stupéfaction. Il lui sourit faiblement pour continuer en virant son regard sur sa tante.
  
   - Aussi contradictoire que ça puisse paraître, je dois chercher un endroit plus... chaleureux.
  
   Farah parvient aussitôt à recoller les morceaux, à établir le lien avec la discussion qu'ils ont eu.
  
   - Mais... tu sais que nous avons besoin de toi. Aymane ne pourra pas s'occuper seul de ta sœur et moi.
  
   - Et moi je t'assure que si. Lorsque qu'on a besoin de lui, mon petit frère est un battant. assure fièrement Younes.
  
   - Tu le chercheras où ? intervient Farah.
  
   Younes se baisse donc à son niveau, contemple ses yeux lui rappelant toujours ceux de son père, puis lui sourit tendrement.
  
   - Ce sera comme lorsqu'on cherche des étoiles filantes dans le ciel. Nous ne savons jamais où ni quand elles s'illumineront, mais nous sommes toujours convaincus qu'elles finiront par se montrer.
  
   - Et elles le font toujours.
  
   - Oui ma petite Farah. Tout comme notre prochain quartier, qui sera bien habité cette fois-ci.
  
   Les yeux de Farah pétillent lorsqu'elle imagine déjà la vie dans cette hypothétique habitation, au grand plaisir de Younes.

   - Et cette recherche durera combien de temps ?... interrompt Khaoula.
  
   Sans se relever, Younes lui répond.
  
   - Si je ne trouve rien au bout d'un moins, je rebrousse chemin.
  
   - Un mois !?
  
   - Oui Farah, ce ne sera pas facile tu sais.
  
   - Mais tu vas me manquer...
  
   - Toi aussi ma chérie. Juste rappelle-toi que je reviendrai bientôt pour t'emmener rencontrer tes nouvelles copines Incha'Allah.
  
   - D'accord...
  
   Leur tante n'est pas du tout sereine, mais face à la détermination flamboyante dans les yeux de son neuveu, elle ose espérer que cette quête ne sera pas vaine.
  
   - Entrons d'abord nous hydrater. Aymane doit avoir une telle soif...
  
   Ces mots ont étouffé le cœur de l'aîné.
  
   Younes essaie de trouver le sommeil. Tout à l'heure autour du dîner, il leur a annoncé qu'il partira dès l'aube de demain après la prière.
  
   "Plus tôt je pars, moins tard je reviens." a-t-il fait rappeler à sa sœur lorsqu'elle s'est mise à protester. Elle boudait toujours, mais elle a été d'accord avec sa logique, et a donc arrêté de montrer son objection.
  
   Khaoula ne s'est montrée ni réticente ni d'accord, ou bien elle était partagée entre les deux. Elle s'est seulement contentée de dire qu'elle lui préparerait de quoi se nourrir pendant les premiers jours du voyage (des œufs durs et un thermos de thé) ; il devra se débrouiller pour la suite.
  
   Quant à son frère, il ne faisait rien à part manger lentement son œuf, par des bouchées plus petites que d'habitude, et boire son thé au même rythme. Il ne lui avait pas adressé la parole depuis qu'ils étaient près du puits...
  
   - Donc tu cherchais à me tester, n'est-ce pas ?
  
   Cette question fait presque sursauter Younes. Il sent un soulagement lorsqu'il réalise que son petit frère, qu'il croyait endormi, lui adresse la parole.
  
   - Effectivement... mais je ne doutais pas vraiment que tu en sois capable. J'étais égoïste en voulant m'en assurer de mes propres yeux, pour partir plus rassuré.
  
   Un silence s'installe. Aymane en veut toujours à son frère mais il lui accorde de plus en plus de compréhension et de compassion.
  
   - Comment tu l'imagines, l'endroit que tu vas chercher ?
  
   - Habiter quelque part où on peut voir plus souvent quelqu'un d'autre que sa famille.
  
   - C'est donc ça... tu t'es lassé de nous. taquine Aymane.
  
   - Mais non petit con. rigole Younes. Tu le sens aussi bien que moi, nous n'avons plus aucune vie sociale ici. Nous sommes quasiment les seuls qui sont restés dans ce quartier, voire dans cette ville ! Farah, toi, notre tante et même moi avons besoin d'amis, de voisins, une communauté avec qui nous pourrons s'entraider.
  
   Un silence approbateur résonne de la part d'Aymane.
  
   - Je chercherai nos prochains chers humains. Dieu mènera mes pas jusqu'à eux Incha'Allah. entreprend Younes.
  
   - Mais ce sera comme chercher une épingle dans une botte... d'épingles ! Les quartiers, les immeubles, les maisons sont quasiment tous indemnes. Tu ne pourras pas les juger de loin.
  
   - Je sais. J'ai prévu de jouer au gars qui évalue la population pour le bilan démographique. Je vais devoir en toquer, des portes !
  
   - Bon courage alors... soupire Aymane
  
   Et c'est sur cette dernière phrase que la discussion prend fin. Demain est un grand jour. Pour l'un comme pour l'autre, tout un schéma de vie bousculera.
  
   Je me demande qui je rencontrerai durant les prochains jours et semaines... J'espère honorer ma promesse à Farah, Incha'Allah...
   Et toi... j'essaie de me retenir d'avoir le moindre espoir, la moindre projection illusoire. J'essaie de rester franc avec moi-même. Je ne te rencontrerai plus jamais, il faut que cette conviction fatale ne se défasse sous aucune circonstance !

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