An 2323. La Terre au cours des siècles derniers a connu des changements climatiques qui ont transformé la vie des derniers êtres vivants. La population survit localement au sein de cités autonomes, protégée des températures infernales par des dômes bloquant le soleil devenu de plus en plus brûlant. Les pluies rarissimes avaient provoqué une effroyable sécheresse, et l'eau était devenue désormais la ressource la plus convoitée.
Thiko déambulait l'esprit préoccupé dans la basse-ville. Il avait pensé que la diminution de l'eau fournie par la ville de Nouvelo n'était que passagère, mais il s'avérait que c'était tout le contraire. Les semaines passaient et le niveau des contenants d'eau était au plus bas. Il devenait difficile pour sa femme, sa fille et lui de se rationner. De nombreuses manifestations avaient eu lieu près du centre-ville de Nouvelo la semaine dernière mais les soldats des dirigeants locaux les avaient mis en déroute, sans aucune pitié. Les pauvres hères en sous-nutrition n'avaient pu que subir les coups de matraques des hommes bien nourris, et en pleine forme. Il ne lui restait plus qu'une seule solution s'il ne voulait pas voir sa famille mourir de soif. Il devait participer au jeu établi par le Maire de Nouvelo, Archibald. Régulièrement, il organisait, dans un immense stade, des épreuves dont le seul et unique prix était la ressource la plus convoitée : l'Eau. Le grand gagnant aurait de l'eau en quantité suffisante pour les 10 années à venir, pour lui et sa famille. Thiko remonta l'avenue en repensant à sa famille qu'il venait de quitter. Il faisait ça pour eux. Leur dire au revoir fut difficile parce qu'ils savaient tous les trois qu'il n'y avait qu'un seul vainqueur... et que les perdants... ne ressortiraient pas du stade. Détacher sa petite fille accrochée désespérément à son cou fut un déchirement. Il n'avait pas réussi à verser une seule larme de son côté. Cela faisait des années qu'il n'y arrivait même plus en fait. Le risque de ce jeu était bien sûr très grand, mais de toute façon ils n'avaient pas d'autres solutions. Dans le pire des cas, s'il perdait, les rations d'eau seraient toujours les mêmes, mais ils ne seraient plus que deux à en avoir besoin. Oui, c'était ça le plus important pour lui au final. Quoi qu'il advienne, sa famille serait sauvée. Thiko essaya de se concentrer sur le jeu, même s'il n'avait aucune idée de ce qu'il devrait faire. Le stade était complètement hermétique. Personne, en dehors des organisateurs et des vainqueurs, ne savait ce qui se passait dedans. Même les grands gagnants des derniers jeux n'étaient en aucune mesure autorisés à en parler sous peine de sanctions. Les perdants disparaissaient, et les familles ne récupéraient même pas les corps. Personne ne savait ce qu'ils devenaient. Thiko traversa différentes ruelles insalubres des quartiers pauvres, pour déboucher sur la grande avenue. Il s'arrêta et contempla l'immense stade où sa vie allait sûrement prendre fin. Sans être défaitiste, il s'était fait une raison. Le stade était un bâtiment ovale, tout blanc avec un toit, vestige d'un ancien temps. C'était là que sa vie allait se jouer. Thiko n'était pas très athlétique, ni même très instruit mais il se disait qu'il n'était pas plus bête qu'un autre. Il espérait juste que ce ne serait pas un combat physique. Même s'il avait connu quelques bagarres, il n'avait jamais été très bon, et il recevait plus de coups qu'il n'en donnait. Il repartit en direction du stade mais il se retrouva rapidement bloqué. Des centaines de personnes étaient agglutinées tout autour, et les soldats essayaient tant bien que mal de mettre de l'ordre dans cette pagaille. Des queues furent finalement instaurés à coups de matraques, et quiconque essayait de tricher était sorti et emmené, pour sûrement ne jamais réapparaître. Thiko examina les gens qui avançaient docilement. Il reconnut des amis et des connaissances. La plupart comme lui n'avait sûrement plus rien à perdre, et voulait tenter leur chance pour sauver leur famille. Il fit signe à certains de la main mais peu lui répondirent. D'autres baissèrent la tête comme s'ils ne le voyaient pas. Son tour arriva enfin, et il pénétra dans l'immense et imposant stade. Le garde derrière Thiko referma la porte, indiquant qu'ils avaient atteints le nombre de joueurs possibles. Thiko entendit les cris rageurs de ceux qui attendaient depuis des heures. Ils ne se rendaient même plus compte qu'en se faisant fermer la porte au nez, ils venaient de sauver leur vie... pour un temps du moins. Un autre garde l'emmena dans une pièce dont la porte était ouverte. Thiko entra prudemment. La porte claqua fortement derrière lui. Il était désormais seul dans une pièce faite de carreaux blancs d'environ 1 mètre de côté. La porte était aussi fait de carreaux blancs. Il était maintenant impossible de savoir où elle était. Thiko examina les murs et le sol. Tous les carreaux étaient recouverts d'un verre qui semblait assez épais. Il longea les murs et compta machinalement les 10 carreaux. Il n'eut plus rien d'autre à faire que d'attendre. Une sonnerie retentit. La lumière s'éteignit aussi nette. Puis elle se ralluma. Tous les carreaux s'allumèrent alors. Il s'agissait en fait d'écrans. Thiko fit un tour sur lui-même, effrayé. Il regarda les écrans qui affichaient des personnes. Elles semblaient pour la plupart étranges, agitées, gesticulant dans tous les sens, et parlant sans qu'on puisse les entendre. Il n'y avait que leur image. Thiko observa attentivement, et comprit alors en en reconnaissant certains. Il s'agissait des autres personnes qui s'étaient engagés dans le jeu. Elles semblaient toutes, comme lui, enfermées dans une pièce similaire à la sienne. Une voix se fit alors entendre : "Bienvenue dans notre Jeu Chers Détritus des faubourgs ! Merci d'être venus si spontanément - ah ah ah - à cette nouvelle partie. Rappelons que ce jeu est sponsorisé par les Industries Glouglou qui fournissent l'eau de notre merveilleuse et grandiose cité !" Thiko était consterné par ce qu'il entendait. Comme s'ils avaient eu le choix... S'il avait eu assez de salive, il aurait craché par terre. Il regarda la plupart des écrans où les gens s'étaient arrêtés pour écouter le présentateur. Les visages étaient consternés et apeurés. Certains tapaient dans les murs espérant sûrement pouvoir encore sortir. Mais la voix continua, pendant ce temps, son speech avec un entrain de mauvais goût : " Je ne vais pas faire durer le suspense plus longtemps, bande de rats ! Nous allons passer tout de suite à la première épreuve. J'espère que tout le monde est prêt sinon tant pis pour vous - ah ah ah - la première moitié des concurrents qui donnera la bonne réponse pourra continuer la partie. Les autres... inutile de le préciser. C'est une question. Vous donnerez la réponse à voix haute. Si elle est bonne, tant mieux pour vous sinon..." La tension se lut alors sur tous les visages apparaissant sur les écrans. Thiko eut un coup de chaud. Il fallait maintenant être bien attentif. Ce n'était pas une épreuve physique, il avait peut-être ses chances. "Écoutez bien, la question ne sera pas répétée." Thiko vit tous les autres concurrents dans leurs écrans s'arrêter de bouger, et lever la tête comme s'ils allaient mieux entendre. "Combien y a-t-il de participants ?" Le temps se figea un instant tandis que la question faisait son chemin dans l'esprit de chacun. Thiko pouvait lire sur certaines bouches le "Quoi ? Quoi ?" qui traduisait la panique de certaines personnes déjà perdues. Il se concentra alors un instant, et repensa aux multiples écrans qui parsemaient la pièce. C'était un simple calcul mais seuls les plus rapides en sortiraient vivants. La pièce était carrée, et il avait compté 10 écrans quand il avait longé le mur. Chaque mur avait donc 100 écrans. Avec le plafond et le sol remplis d'écrans, il y avait donc 6 murs soit 600 personnes. Il regarda autour de lui, voyant certains écrans prendre petit à petit la couleur verte, tandis qu'il voyait les gens hurler, se prendre la tête à deux mains ou regarder autour d'eux. Il cria "600 !!" au moins une dizaine de fois avant de s'apercevoir que la pièce s'était teintée d'une lueur verte. Petit à petit, il vit les écrans des autres concurrents devenir verts puis tous les écrans restants s'éteignirent. "Oh certains demi-cerveaux fonctionnent encore - ah ah ah - Nous allons passer à l'épreuve suivante." Thiko remarqua rapidement que certaines de ses connaissances n'étaient plus là. Que leur étaient-ils arrivés ? Etaient-ils déjà morts ? Un frisson le parcourut tandis que le présentateur reprit sans plus attendre. "Deuxième épreuve, vous n'êtes plus que 300 ! Dans 10 secondes, un écran s'allumera, vous aurez 3 secondes pour le toucher, sinon... vous savez quoi. Un autre s'allumera ensuite, et ainsi de suite jusqu'à l'élimination d'une autre moitié de larves de votre espèce. " La lumière s'éteignit alors. Les secondes passèrent et un écran s'alluma comme prévu. Thiko se précipita pour le toucher. A peine l'eut-il fait qu'une lumière derrière lui le prévint qu'un autre s'était allumé. La course poursuite commençait...********** Les épreuves se succédèrent à un rythme effréné. Thiko était sur les rotules. Il soufflait comme jamais. Penché en avant, les mains sur les genoux, il tentait désespérément de reprendre son souffle. Ils n'étaient désormais plus que deux en lice. Un écran s'alluma sur le mur opposé à celui où Thiko s'adossait. "Deux cafards des bas-fonds ont survécu. Qui écrasera l'autre ? Thiko regarda son ultime adversaire qui semblait être dans un état aussi pitoyable que lui, respirant difficilement. " Le premier qui touche l'écran de l'autre a gagné." Il y eut un moment de flottement. Thiko s'avança vers le mur en tendant le bras, et vit dans l'écran son adversaire en faire de même, puis glisser et s'affaler par terre. Thiko au ralenti vint poser sa main et tomba à genoux tandis que le dernier écran s'éteignit, faisant disparaître l'homme qui désormais pleurait. ********** Thiko attendait seul dans une pièce contenant uniquement une chaise. Assis, la tête dans les mains, il se remémorait toute cette horrible journée, les visages tristes, apeurés qu'il avait vu défiler et s'éteindre. Il attendit ainsi un certain temps, jusqu'à ce que la porte s'ouvre, et qu'un vieil homme en costume-cravate, avec une canne rentre entouré de deux hommes armés. Thiko reconnut alors le Maire de Nouvelo, l'homme qui gérait d'une main de fer toute la cité. Il voulut se lever mais la poigne d'un des hommes de main le remit à sa place sur la chaise. - Monsieur le Maire, je suis... - Peu importe le coupa celui-ci, je me fiche de vous. Je voulais juste vous voir avant que vous ne repartiez dans votre bidonville. Normalement, je ne m'abaisse pas à venir voir le vainqueur mais j'ai misé sur vous après la première épreuve, et vous m'avez de fait rapporté énormément d'argent. Je vous en suis fort reconnaissant qui que vous soyez. Il fit un signe de tête à l'un des gardes qui sortit une bouteille d'eau et la lança à Thiko, qui l'attrapa maladroitement. Il la regarda longuement avant de l'ouvrir et d'en boire de longues gorgées. Le Maire continua alors : - Vous recevrez votre eau chaque semaine comme stipuler dans le contrat. Vous ferez des envieux.Le Maire tourna alors les talons, prêt à repartir, mais Thiko osa malgré son statut poser la question qui lui brûlait les lèvres. - Monsieur le Maire, que sont devenus les autres concurrents ?Le Maire s'arrêta et se retourna en soupirant. - Bien que cela ne vous regarde pas, je vais faire une exception au vu de ce que vous venez de me rapporter. Je vous rappelle, par ailleurs, que tout ici est confidentiel, et que si jamais vous osez lâcher la moindre information, vous ne recevrez plus une goutte d'eau de notre part... Et ce n'est pas ce qui vous arrivera de pire, rajouta-t-il en le fixant durement. En ce qui concerne les autres concurrents... disons qu'ils participent désormais activement à la vie de la communauté. - Comment ça ? Personne ne les revoit jamais... Monsieur le Maire.Le Maire tapota la bouteille d'eau de Thiko avec sa canne. - Comment imaginez-vous qu'on arrive à fournir de l'eau à toute la ville ? Non ne répondez pas, ne me faites pas perdre davantage mon temps. Vous ignorez sûrement que tout être humain est composé d'environ 65% d'eau. Les Industries Glouglou ont trouvé un procédé pour récupérer toute l'eau contenue dans un homme. Les sacrifiés durant le jeu permettent de fournir des milliers de litres d'eau, tout en régulant la population de la ville. Une ville trop importante serait ingérable.Thiko faillit en lâcher sa bouteille. Il était en train de boire l'eau des personnes qui avaient participé au jeu. Ses mains se mirent à trembler. Le Maire n'attendit pas plus, et repartit sans ajouter un mot. Deux gardes du stade entrèrent alors dans la pièce. - Allez faut partir maintenant Grand Vainqueur, t'as suffisamment traîné ici. Mais Thiko était incapable de faire le moindre mouvement, encore sous le choc. Les deux gardes le prirent par les bras, et le traînèrent jusqu'à la porte. Thiko se souvint alors des hommes et des femmes aperçus sur tous les écrans, inconnus, connaissances, amis... La détresse de Thiko en fut si grande, que pour la première fois depuis bien longtemps, des larmes coulèrent sur son visage...
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Qui veut gagner de l'eau ?
Science FictionAu 24ième siècle, un homme joue sa vie pour gagner la ressource la plus convoitée de son époque : l'eau.