Chapitre 1 : Un dernier bagel

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AGATHIE


Je mâche mécaniquement, debout sur le quai, mon tout dernier bagel houmous caviar d'aubergine. Acheté ce matin même, à mon snacking végétarien préféré du 16 ème, il est comme un ultime au revoir à la capitale qui m'a élevée ces vingt-six dernières années. Je ne goûterai sûrement plus ce genre de douceur là où je vais.

Soudain, résonne dans la Gare de Paris-Montparnasse :

    « Le train en direction de Brest arrivera en gare avec 45 minutes de retard ».
Un brouhaha de mécontentement ne se fait pas attendre. Je soupire. J'écrase rageusement l'emballage de mon encas et trottine vers la poubelle de tri. Je jette  régulièrement un regard inquiet vers la glacière, qui trône sur ma valise, maintenant à quelques mètres derrière moi.

Et c'est le temps qu'il faut pour qu'un enfant, rabroué par ses parents, vienne se défouler sur ma valise en lui donnant des petits coups de pied. Prise de panique, j'oublie mes déchets et je fais demi-tour. Je cri en direction de la demi-portion :
« Hé ça va pas ! Arrêtes ça tout de suite ! «
Ma glacière tangue dangereusement. Je m'interpose entre l'enfant et mes affaires. J'ouvre précipitamment le couvercle de ma boîte réfrigérée. Dans la glacière, se trouve un thermomètre ainsi qu'un sac en plastique judicieusement calé entre de bloc de polystyrène. Le sachet est gonflé d'eau et, dans son centre, une petite créature rose tourne sur elle-même. Les yeux de mon animal clignent doucement en se posant sur moi. Il va bien. Je pousse un soupire de soulagement.
Curieux, le gamin se hisse sur la pointe des pieds au dessus de mon épaule pour apercevoir mieux le contenu de la glacière.
Il fait une moue dégoûtée en voyant mon axolotl et crache :
-« Trop dégueu ! Elle mange des lézards vivants, la sorcière ! »Puis s'enfuit retrouver de sa famille sûrement pour leur raconter son effroyable découverte. Je lève les yeux au ciel et ferme délicatement la maison provisoire de mon vieil amphibien de compagnie. Je murmure à la boîte réfrigérée :

- « Tout va bien mon Cousteau, maman est là. Ce soir, ce sera terminé. Tu verras, Tata Yaya t'a fait préparé un joli aquarium. »

Je dénoue le ciré jaune, que j'avais solidement harnaché à ma taille, pour couvrir la glacière et éviter que d'autres curieux dérangent mon compagnon de voyage. Je glisse la boule de papier encore grasse dans la poche de mon jean slim. Il n'est plus question que je m'éloigne de ma valise jusqu'à ce que le train arrive. C'est finalement au bout de deux heures de retard que mon train décide d'enfin pointer le bout de son nez.
Je chuchote :

- « L'après-midi va être plus longue que prévu, mon pauvre. Je suis désolé de te faire subir tout ça »
Je caresse la manche pendante de mon manteau comme si c'était une extension imaginaire de la patte de Cousteau.

4h de voyage en train plus tard, mon Bubble tea matcha café vanille avalé et la moitié de ma batterie d'iPad vidée, j'arrive à la gare de Brest. Je profite de cette courte pause, en attendant mon breiztgo vers Porspoder, pour répondre aux nombreux appels de ma mère restés sans réponse par manque de réseaux dans le train. À vrai dire, je n'ai pas non plus envie de discuter avec elle maintenant. Mais si je ne lui réponds pas tout de suite, elle finira par me le reprocher plus tard et cette perspective ne m'enchante guère non plus. Perdante quoi qu'il arrive, je m'adosse au mur du hall de gare affichant fièrement des peintures modernes de bateaux et de ports de la région, et résignée je compose le numéro de ma mère.

– « Ah bah, enfin ! Tu vis plus à la maison depuis quelques heures que tu ignores déjà mes coups de fil ? » me taquine ma mère. Sous couvert de tristesse de voir sa fifille chérie quitter le nid, la reine du passif agressif, peut faire passer tous reproches pour de l'humour ou pire de l'amour. Je ne relève pas la remarque et détourne la conversation sur l'incompétence de la SNCF à fournir un voyage de qualité à ses clients. Parler de ses problèmes donne souvent le prétexte parfait à ma chère maman de rebondir sur ses propres soucis évidement bien plus graves. Ainsi j'évite d'être dans le viseur de son agacement.

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