Chapitre 2

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En fin de journée, Jean Lebrun avait rendu visite à sa femme, Hélène Lebrun, enterrée au cimetière même du village. Il avait déplié sa petite chaise en toile bleue et était resté un long moment à discuter, appuyé sur sa canne, la casquette sur son genou, tandis que les hirondelles voltigeaient dans les dernières lueurs du jour.

— J'ai acheté un beau miroir aujourd'hui. Un antiquaire qui a repris le local de Martine. Paix à son âme.

Il avait jeté un furtif regard vers une tombe rongée par les mousses et les mauvaises herbes. Personne ne venait plus se recueillir sur la tombe de Martine La Bouchère. Lebrun en était conscient, aussi s'efforçait-il d'enlever quelques mauvaises herbes ou d'arroser la pierre tombale de temps à autre.

Un regain d'émotion l'avait gagné et il avait essuyé une larme avant qu'elle ne s'échappe. Il était vieux et fatigué. Plein de nostalgie et de tristesse. Ses amis n'étaient plus, la mort tardait à l'emporter et sa femme lui manquait terriblement.

Il était retourné chez lui juste avant la nuit, avait réchauffé les pâtes de l'avant-veille, lu un polar tout à fait inutile, posé un dernier regard sur le miroir qu'il avait fait installé puis éteint sa lampe de chevet.

Son sommeil fut agité. Aussi se leva-t-il en pleine nuit, pris de miction. Il se traîna péniblement jusqu'à la salle de bain, plissa les yeux à cause du néon trop lumineux et tenta de viser juste.

— Oups... tant pis, je laverai demain.

Il se regarda dans le miroir et crut voir quelqu'un dans la chambre. Il se retourna. Ce n'était personne, sinon son reflet dans le grand miroir. Encore qu'il était différent. Il prit ses lunettes sur le rebord de l'évier. Son cœur s'emballa à la vue d'un jeune homme, familier, certes, mais un étranger tout de même.

Il voulut dire « Qui êtes-vous ? », mais sa gorge resta nouée. Il déglutit, les mains appuyées sur le rebord de l'évier. Il n'osait pas dévier le regard du reflet pourtant.

Il s'avança et le reflet fit de même, sans toutefois sortir du miroir. Il leva son bras flasque et le reflet obéit. C'était bien son reflet. Il avança encore et constata que c'était bien lui, avec soixante ans de moins. Il ouvrit la bouche, l'autre fit de même.

Alors Jean Lebrun chercha dans le cadre et derrière le miroir une indication ou une explication. « Sans doute une innovation » pensa-t-il. Après tout, il avait vu les plus jeunes générer des filtres rajeunissants ou vieillissants sur leurs photos. Ce miroir devait avoir une application pour ça, à la manière des Smartphones.

Mais il ne trouva rien, si ce n'est, gravée à même le cadre en bois, une femme aux cheveux longs, tenant un panier de pommes.

Il redressa le buste et poussa un cri d'épouvante qui le fit basculer en arrière. À terre, il recula une main en avant pour se protéger.

Son cri réveilla Isma, qui était son voisin de palier. Il sursauta, tomba presque de son lit et resta les yeux grand ouverts, l'oreille alerte. Il hésita, puis alluma sa lampe de chevet. Il aurait juré avoir entendu crier. Il ouvrit sa porte. Dans le couloir, sa sœur était là.

— T'as entendu ça ! dit-elle.

— Ouais.

— Ça vient de chez Jean.

— Faut aller voir.

Elle alla enfiler un manteau. Isma fit de même et ils passèrent devant la chambre des parents. Le père ronflait fort. La mère, elle, avait ses boules quies. Ils sortirent dans la rue déserte.

Elle désigna le local, toujours ouvert. Une lampe à huile reposait sur une table. La lueur éclairait tout juste quelques amphores et le début de l'allée centrale.

L'Antiquaire (Les objets du Mal)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant