Elle

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Elle écrit. Elle écrit violemment, furieusement,  manquant à chaque instant de trouer sa feuille avec la pointe de son stylo plume. Une larme tombe, au ralenti, sur sa main, et elle l'essuie d'un geste rageur.

Elle a tué quelqu'un, et elle écrit.

Elle écrit comme on mourrait. Douloureusement. Avec hargne. Sans se relire. Sans se retourner.

Elle se fiche des ratures, des mots illisibles, des fautes d'orthographe. Juste, elle écrit.

Elle écrit sa terreur absolue quand on l'a enfin laissée seule dans la chambre d'hôpital. Elle écrit sa respiration erratique, la sueur coulant le long de son dos, ses mains qui tremblaient horriblement quand elle a augmenté la dose de morphine.

Elle écrit ses frissons violents lorsqu'elle s'est laissée tomber à côté du lit, la nausée brûlante qui l'a envahie, sa soudaine crise d'asthme alors qu'elle n'en faisait plus depuis des années. Sa panique quand elle a cru qu'elle allait mourir là, sur le sol d'une chambre d'hôpital. La vague d'épouvante quand elle a compris qu'elle allait vivre et que lui allait s'en aller.

Elle écrit s'être relevée, avoir titubé jusqu'à une de ces chaises si inconfortables, s'être assise bien droite en reprenant son souffle. Et avoir attendu. Attendu que les bips stridents du moniteur cardiaque s'éteignent. Que la poitrine de l'autre ne bouge plus.

Et un immense calme l'avait envahie. Elle ne ressentait plus rien. Elle a vu les médecins entrer en trombe dans la pièce. Elle a entendu vaguement quelqu'un la secouer pour savoir si elle allait bien. Elle était plongée dans le brouillard. Plus rien ne lui importait.

Elle l'aimait tellement, et elle l'a tué.

Sa feuille est déchirée maintenant. Comme elle. Comme sa vie.

C'est bon.

Elle a trouvé ses mots.

Son frère est parti.

Et elle a brûlé avec lui.


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