Chapitre 8 : Le Carnet

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Je ne sais plus quel est son âge. Quelque chose entre elle était en CM2 cette année et elle passera en 6e l'année prochaine. C'est jeune et à la fois c'est le premier pas vers le monde des "grands", monde que je n'ai jamais vraiment rejoint.

Je le sais parce que je la comprends encore. J'ai l'âge de quitter le lycée et de commencer des études dans le supérieur, pourtant, j'ai l'impression que ces trois têtes qu'elle a de moins ne l'empêche pas de lire en le "presque" adulte que je suis.

Elle me parle de son ami imaginaire. Elle sait qu'elle discute en réalité avec elle-même et qu'elle joue les deux voix de leur chanson. Elle me le dit. "Pour les autres, je parle toute seule, parce que c'est moi qui me réponds mais je parle aussi à Kako".

Kaki est souvent là quand il ne le faut pas. À l'heure de dormir ou de travailler, parce que c'est vrai qu'à son âge, on travaille déjà. Les responsabilités naissent tôt. Il n'est pas toujours là quand il le faut, mais finit toujours généralement par arriver. Il l'embête, mais on peut compter sur lui.

Il a une famille, des enfants, une tête de fraise et une espèce à son nom : des fraises qui n'en sont pas puisque ce sont des kakis. "Tout simplement". Qu'on ne vienne pas me dire que l'esprit d'un enfant, même du plus insupportable, n'est pas fascinant. Je n'y croirais pas.

Elle me dit : il est là. Je connais ça. Elle désigne un petit espace devant nous. Je vois bien dans son regard qu'elle sait que les adultes ne la croient pas. Elle s'attend à que ce soit mon cas. Ce "presque" qui me définit me sauve peut-être d'un crime étrange, ne pas croire aux rêves d'un enfant et à la sincérité qui pétille dans ses yeux.

Aeden

Jules courait loin devant moi. Durant tout le trajet, je n'avais aperçu que son dos. Profiter de ce moment pour me raconter des choses sur lui ne lui venait pas à l'esprit. Que je ne puisse pas courir éternellement non plus.

Nous étions actuellement dans la forêt qui bordait le chemin que j'avais traversé le premier jour avant de le voir. Il devait la connaître par cœur puisque le manque de sentier qui la traversait ne l'empêchait pas de continuer avec un rythme élevé. Cela n'était pas de la course mais ses pas s'enchainaient à une vitesse que je n'étais pas capable d'atteindre. Mes jambes me faisaient souffrir et elles n'appréciaient pas la nouvelle d'un chemin de plus en plus pentu.

Ma gorge se resserrait sous le poids du feu qui assaillait mes poumons et l'air se faisait de plus en plus rare comme si elle filtrait chacun de ses éléments pour être sûr qu'aucune trace d'oxygène n'arrive à la traverser. J'imaginais facilement mes joues rougies par l'effort.

Le blond évoluait entre les arbres et les fougères de manière si différente de moi. Leur relation ne semblait pas aux antipodes mais bien au contraire. En suivant ses pas, je me demandais bien où il mettait ses pieds pour ne rien abîmer sous son passage. C'était un enfant de la forêt.

Sans que l'herbe ne soit coupée, je sentis son parfum m'envahir. De petites perles d'eau étaient déposées sur les mousses et humidifiaient mes chaussures au fur et à mesure de mes pas. Mes pieds allaient devenir des éponges et commençaient à émettre un léger splatsh à chacun de mes pas. Quelques fois, mon épaule effleurait une fougères et des gouttes glissaient tout le long de mes bras jusqu'à mes doigts avant de retomber au sol. La sensation de fraîcheurs et d'humidité me faisait du bien après tout ce que nous avions traversé et j'aurais tout donné pour pouvoir boire rien qu'un peu de cette eau qui chatouillait le bout de mes doigts.

En un sens, en venant déranger la forêt, nous provoquions une rosée plus violente sur son sol. Si Jules parvenait à l'éviter je le faisais suffisamment pour nous deux.

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