Ça faisait longtemps que je voulais changer de vie.
Et maintenant, c'est chose faite.
Enfin, bientôt.
En arrivant chez mon futur chez moi, en pleine campagne, la nuit tombée, j'ai eu un coup de cafard.
Le mois de novembre, il fait nuit à 17h. C'est pas la bonne période pour déménager. C'est la bonne période pour rien de toute façon. C'est déprimant. On ferait mieux d'hiberner cette saison.
Le notaire avait caché les clés de la maison quelque part mais j'avais oublié où.
Je fouillerai dans mes sms plus tard. Demain, il fera jour.
Pas moyen de tâter le terrain comme il faisait déjà nuit. Alors je me suis inscrit sur une application de rencontre, en utilisant l'option géolocalisation.
Peut-être que j'avais envie de dire au revoir à ma vie d'avant. Couper le cordon, un truc du genre. J'avais déjà réalisé mon enterrement de vie de garçon parisien. Une cérémonie pour moi tout seul. Supprimant mes comptes facebook, linkedin et instagram. Faisant la tournée des bars. Ce n'était pas rien une décennie dans la vie d'un galérien. J'en avais vu, dit, et fait des choses dans cette ville. Je suis passé devant les boîtes de nuit que j'avais fréquentées. Les lieux que j'avais aimés un peu, longtemps, ou quittés. Je cherchais à extirper tous ces souvenirs de ma mémoire. En finir une fois pour toute avec ma vie d'avant.
Ça n'avait pas été suffisant apparemment. Le fait est que je réactivais mon compte tinder, en me jurant que c'était juste pour ce soir.
Ces salauds font tout pour que tu rechutes. Ils conservent ton compte au chaud avec toutes tes données, t'as juste à cliquer. Tout réapparait comme par enchantement. Plus simple qu'un ctrl z sur le clavier. Bientôt, ils créeront ton profil à partir de ton extrait de naissance. Tu fais déjà partie du club, juste que tu le sais pas encore.
J'étais nouveau dans le coin, je supposai que ça me procurait un certain crédit. A chaque fois que j'avais changé de ville ou de pays, ça avait bien marché le coup du je viens d'arriver. On se sent spécial, comme une nouveauté dans un magasin, ou mieux, une exclusivité. Enfin dans mon cas précis, on ne pouvait pas certifier de la fraicheur. J'étais plutôt un produit dégriffé, une fausse vierge qui a fait recoudre son hymen.
Au début, j'ai voulu jouer au mec normal, celui qui a le choix, qui n'est pas en chien. Le mec anormal en somme. Je laïekais seulement celles qui me plaisaient, une sur dix environ. Fallait pas être trop difficile non plus. Les filles avec des formes, ça ne me dérangeait pas. J'aimais bien au contraire.
Rapidement, je constatais que question snobisme, les campagnardes valaient les parisiennes. Zéro match. Alors, je repris mes mauvaises habitudes, layequant tout ce qui bouge. Je n'ai pas eu plus de match pour autant.
C'est trop la merde tinder. Les meufs viennent pour regonfler leur ego, quitte à enfoncer les mecs dans leur mouise. C'est la définition scientifique du parasite je crois.
Elle est présentée comme une appli de rencontre mais c'est faux. Je dis pas ça pour me rassurer mais ça ressemble plus à un système de crédit social. On crée des hiérarchies pour dire qui est assez bien pour être avec qui. Non, ça ne me rassurait pas.
Après avoir fait le tour, j'ai basculé sur badoo. C'est à peu près la même chose mais en locoste. Il y a surtout des banlieusardes, alors que tinder c'est des parisiens.
Pour la campagne, ils avaient prévus quoi, le super U du coin ? Ils devaient penser que ça suffirait aux bouseux. Je n'aurais jamais dû m'installer en province. Déjà que je souffrais d'isolement social. Ça allait être la plaie de vivre ici tout seul.
J'avais eu l'idée juste avant le covid, avant que ça devienne la mode. J'ai toujours été en avance sur mon temps. Du moins, c'est ce que j'aimais me raconter. Le génie incompris, le mâle sigma, l'artiste maudit, tout ça. C'est facile de se mentir à soi-même.
Résultat, je suis à un vrai mgtow maintenant. Bon gré mal gré. J'ai découvert le concept y'a pas longtemps. C'était plus flatteur qu'incel, moins vindicatifs que redpill. La novlangue devenait aussi riche en vocabulaire qu'en mouvements identitaires.
Les mgtow, c'est un peu la beat génération des ringards. Des vieux garçons pour rester gentil. Enfin moi, je préfère la vérité à la vertu. Vieux garçons, c'est plein de sous-entendu, je n'aime pas, je préfère encore endosser le statut de mâle beta, ou de ringard.
Avant, tout était plus explicite, ou en tout cas, c'était plus facile. Chacun à sa place, et les vaches seront bien gardées. On devrait faire rentrer cette expression au patrimoine mondiale de l'unesco. En faire la devise des mgtow.
Avant, les choses pouvaient être implicites car les limites étaient claires. Entre le public et le privé, l'intime et le social, le culturel et le biologique. Aujourd'hui tout est embrouillé dans le langage. A cause d'un mauvais esprit d'abstraction et de notre passion incontrôlé pour les labels. On est obligé de réexpliciter un savoir millénaire. Un homme, c'est comme-ci... Une femme, c'est comme ça... Heureusement, il y'a youtube.
La civilisation est fragile mine de rien, sans parler des épidémies de burnout et de maladies chroniques. Pourquoi personne n'est plus capable tenir sa place aujourd'hui, et qu'est-ce que je fous encore sur tinder à 41 ans ?
Je suis trop vieux pour ces conneries, c'est pathétique. Je dois être dépressif. Ou alors, je ne le suis pas encore assez. La vérité est que je suis venu ici pour m'enterrer. Me marier avec mon célibat. Pour le meilleur et pour le pire. Pourquoi je m'inflige ça sérieux ?
Dans deux jours, j'en aurai fini de tout ce merdier.
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C19 H28 O2 - Le journal de Simon
RomanceTrigger warning : Écoutez-moi bien, bande de flocons de neige ! Si votre petit cœur délicat risque de faire un looping, prenez un uber, une pilule bleue pour que ton rêve de licornes roses continue. Réveille-toi dans ton lit douillet, et crois ce qu...