C19 H28 O2 - Le journal de Simon

ego-centrisme

On dit que l'alcool, ça sert à oublier. Mais le truc génial quand t'es bourré, c'est d'avoir conscience de tous tes problèmes, et que tu t'en fous. Faut avoir une âme slave pour comprendre. Un esprit mélancolique.

J'ai rien mangé hier. Je vais pas tarder à avoir la nausée. Faut que je me secoue, sinon je risque de mettre trois jours à m'en remettre. Je n'ai plus vingt ans.

Quand tu perds l'habitude de boire, et que tu gardes les mêmes standards. C'est mortel. C'est pareil avec les filles, quand tu approches la quarantaine et toujours pas de rolex au poignet, t'as plus le choix, faut baisser tes standards. Rien moins rien égale moins que rien.

L'ignorance, ça n'existe pas. Tout le monde connait la vérité et chacun continue à croire ce qui l'arrange.

Autrefois, on pouvait être le meilleur de sa classe en maths, ou si on remonte plus loin, le meilleur joueur de pétanque de son village. On en tirait une certaine gloire, une satisfaction concrète et enracinée, rien à voir avec la télé-réalité.

Aujourd'hui, t'as beau être très fort dans un domaine, tu trouveras facile un million de personnes meilleures que toi. Et même s'il n'y en a qu'un millier. Un seul gagnant rafle la mise.

Y'a qu'à voir mon classement sur l'appli de belote, j'ai toujours été bon aux cartes, j'y joue depuis des mois, eh bien malgré ça, j'ai toujours pas atteint la ligue élite.

Le problème est que je me suis cru trop beau trop longtemps. Pas au sens propre, car mis à part deux trois trucs, ça aurait pu être pire. Non, j'ai réalisé y'a pas longtemps que les destins humains étaient médiocres.

Mieux vaut tard que jamais. On ne devrait jamais faire croire aux enfants qu'ils sont beaux. Ou alors, comme pour le père noël, tu leur fais croire au début. Et ensuite, ils auront beau faire de la résistance, ils seront bien obligé d'admettre que tout le monde leur a menti. Une belle leçon de vie en effet.

Mais qu'est-ce que je raconte. Putain, j'ai vraiment dû boire cette vodka. Je n'ai rien à manger chez moi. Enfin chez moi, je veux dire, dans ma voiture.

Ça faisait plus de six mois que je n'avais pas bu une goutte d'alcool. La bouteille de vodka, je la gardais en souvenir. Elle signifiait que ma vie d'avant avait été un rêve et que j'allais traverser une longue gueule de bois avant d'en reprendre le contrôle.

Elle est où la bouteille vide putain, je la retrouve pas. J'ai un flash dans ma tête, enfin plutôt un mème. Pour faire fuir les rats, je jette la bouteille en verre contre un mur. J'imaginais les trancher avec les bouts de verre, ou au moins leur faire peur. Mais un rat un peu plus malin que les autres, peut-être un cousin de ratatouille m'avait lancé « raté » en ricanant.

Avec la gueule de bois, on se sent minable, honteux et jugé en permanence, même par un rat de dessin animé. C'est le pire sentiment du monde.

Je voulais aller à la boulangerie pour acheter quelque chose à manger. Mais je ne voulais pas me faire reconnaître dans cet état. Je vais mettre ma casquette histoire de passer incognito.

Le moins cool dans la boisson, c'est la redescente. Tu reprends toute la merde dans ta face. La vodka est particulièrement traitresse pour ça. Quand tu penses avoir touché le fond, bah tu continues à descendre encore. Y'a aucun support. Rien à quoi s'accrocher, comme pour le cours du bitcoin quand la bulle éclate. On n'attrape pas un couteau qui tombe.

Tant que je suis encore un peu bourré, j'ai de l'énergie et je dois en profiter.

Je vais aller jusqu'au village. Acheter un sac de viennoiserie. Faire une longue marche. Ça va me requinquer. Il faut que je boive aussi, de l'eau, beaucoup d'eau.

Allez, pas de temps à perdre, le black dog ne va pas tarder à gratter la porte.