Menga la géante paisible

Je vais maintenant vous conter une histoire aussi originale qu'intrigante, mêlant un magicien, des villageois, de la cuisine et, vous l'aurez deviné, une géante.

Si vous remontez le fleuve Naros en direction du nord, que vous traversez la ville de Felyr - non sans goûter à ses confiseries connues dans tout l'Empire - et si vous continuez sur votre lancée pendant quelques jours, vous arriverez en vue d'un petit village, niché entre deux collines fleuries dont un mur fait le tour. Il porte le nom de Dast, nom bref traduisant bien l'insignifiance de ce bourg qui n'apparaît sur aucune carte, du moins pas à ce jour. Pourtant, si vous connaissez nos histoires, vous savez que c'est dans les lieux les plus méconnus et les plus reculés que naissent les rumeurs et les miracles insoupçonnés. Cette région ne fait pas exception et sa légende est bien réelle, car cette légende, encore aujourd'hui, veille sur elle.

Tout commença il y a maintenant plus de cent ans, lors d'un hiver tardif au froid mordant. Les villageois avaient fait maintes réserves et provisions mais ils étaient inquiets et à raison, car rien n'annonçait un changement de saison. Ils voulaient se ravitailler mais la ville était loin et des congères blanches bloquaient le chemin, ils se concertèrent donc longuement pour se dégager de ce triste sort mais nulle idée ne vint et chaque bourrasque promettait la mort.

C'est à ce moment que le destin fit venir en cet endroit une nouvelle catastrophe qui causa un très grand désarroi. Ils entendirent un long cri dans le blizzard, venant du nord, terre de monstres, de guerre et de pillards. Alarmés ils cherchèrent dans cet enfer blanc d'où pouvait provenir ce son plus qu'inquiétant. Les secondes et les minutes s'écoulèrent mais leurs yeux ne pouvaient percevoir qu'une silhouette, qu'une ombre éphémère. Ils commençaient à croire à un rêve, à une création de leurs esprits hagards lorsque retentirent un immense craquement et une voix de cauchemar.

« Donnez-moi à manger, disait-elle, ou c'est vous qui serez mon diner ! »

Il fut difficile à tous ces pauvres gens de contenir leur désarroi, une géante se tenait devant eux, calme dans le froid, elle avait franchi le mur d'un seul bon fabuleux. Il nous est déjà possible de constater l'intelligence exceptionnelle de cette créature, il est rare que les géants sachent parler ou même ruser, tout cela n'est pas dans leur nature.

Face, donc, au danger mortel qui les menaçait de ses yeux sans compassion, les villageois obtempérèrent avec résignation. Ils amenèrent au monstre la viande salée, le pain et les derniers poissons séchés, bref tout ce qu'ils avaient mis de côté pour subsister. Ils virent, le cœur serré, la créature engloutir leurs dernières espérances, puis s'asseoir et réclamer une plus délectable pitance.

« Je veux plus et je veux mieux, de la viande à la broche, de la brioche et des œufs ».

Un des villageois s'avança, un ancien vétéran qui connaissait ces-choses là, il avait côtoyé ces monstres, leur force et leur folie, il s'arma donc de courage, de résignation et d'une bonne dose de flatterie.

- Oh terrifiante géante ! Nous aimerions pouvoir te donner tout cela, mais ça nous est impossible, nous n'avons plus rien à manger et sommes prisonniers de ce froid.

- Ne me mens pas ! Je sais qu'il y a une ville pas loin, il y a là bas suffisamment de vivres pour toi et les tiens !

- C'est vrai titanesque maitresse, mais la piste est traitresse, le brouillard est dense et la tempête souffle sans cesse. Nul ici ne peut s'y aventurer sans mourir transi et à jamais égaré.

Face à ces révélations la géante se figea un instant, elle avait encore faim et se chercha un nouveau plan.

- J'oubliai à quel point votre espèce est faiblarde, vous mourez au premier coup de vent et nous vous aurions détruit depuis longtemps sans cette fichue magie qui vous garde.