Les Roses Blanches

Mai

Je vais crever. Je vais crever. Je vais crever.
Quel est le sale pervers qui a inventé le jogging ? Pense Amandine. Depuis quelques jours, en plus de la lecture, elle essaie de se mettre à la course pour s'affiner un peu. Elle a essayé de motiver Anaïs, « Maman veut pas que je finisse cramée dans un bois », Amina, « on est en seconde, y'a plein de devoirs », et Alexis «je veux bien faire des efforts mais là... ». Merci les copains.

C'est surprenant de voir à quel point son corps peut ne pas avoir envie de coopérer. Du tout. Les poumons sont en feu, le cœur s'emballe, Nassim ne m'adresse toujours pas la parole... C'est vrai ça. Depuis l'épisode de vomi verbal, Nassim ne répond plus sur son portable. Amandine voudrait bien s'excuser, mais elle ne le croise même pas dans le quartier. Comme s'il avait disparu de la surface de la terre. Elle continue de courir, évacuant sa colère contre elle-même. Bordel. Elle se juge encore plus durement depuis qu'elle connait Chris qui vient maintenant tous les deux weekends. Il est juste trop génial. Il connait plein de trucs, il a vu pleins de trucs, il est super marrant, il a l'âge de son père mais il est cent fois plus intéressant. Au moins. Il est stylé, il habite Paris, il fait un métier cool...j'aurais adoré avoir un père comme ça, se dit Amandine. Quitte à avoir deux pères d'ailleurs.

Les foulées sont de plus en plus dures et l'air humide du bord du canal lui brûle les poumons mais Amandine continue de courir. Elle veut arriver à bout de ce gras, bon sang ! Mais au bout d'un moment elle ne peut plus tenir et s'arrête, s'assoit au bord de l'eau pour reprendre son souffle. Elle regarde son reflet, pensive.

Anthony est revenu, depuis une semaine maintenant. La maison était toute en tension pour son retour, on avait peur qu'il pète un câble ou quelque chose du genre. Mais rien. Il était d'un calme effrayant. Il s'était enfermé dans sa chambre et on avait entendu des bruits bizarres, de déchirement, de sacs qu'on froisse. Personne n'a osé rentrer. Et puis il est sorti et il est allé chercher des sacs poubelle. Il s'est renfermé, et il n'a pas quitté sa chambre jusqu'au dîner. M'man est alors allée toquer doucement à sa porte, et comme il ne répondait pas, elle a ouvert, et n'a pu retenir un cri de surprise. Anthony était allongé sur son lit, un casque sur les oreilles, les yeux fermés, battant le rythme sur sa couette de sa main droite. Rien d'étonnant jusque-là. Ce qui l'était plus en revanche, c'est que sa chambre, à part les meubles et l'ordinateur était entièrement vide. Il avait jeté tous ses posters, toute sa pseudo-déco, tout le bazar qui traînait par terre, toutes ses revues de rap et de catch, tout. Il trônait au milieu d'un vide abyssal.

A la tête de sa mère, Amandine, qui n'avait pas quitté la cuisine, a vite compris que quelque chose tournait pas rond, et s'est dit qu'il valait mieux ne rien dire. Tout le monde s'est donc mis à table en silence ; Anthony a rejoint sa famille, s'est assis et n'a pas décoché un mot de la soirée. Tout de suite après manger, il est parti prendre les sacs poubelle pour les mettre sur la rue, et est revenu dans la maison sous les regards inquiets des siens, qui pourtant n'ont rien dit, et qui n'ont pu que le regarder s'enfermer dans chambre, toujours en silence.

Francis, qui avait peaufiné depuis des jours le discours qu'il tiendrait à son fils à son retour s'était retrouvé fort dépourvu face à cette attitude. Anthony avait maigri, ses yeux étaient comme éteints, et son comportement était tout sauf normal. Francis espérait que la prison changerait son fils mais peut-être pas au point d'en faire un zombie.

Amandine se rappelle avoir vu une certaine confusion dans le regard de son père. Peut-être qu'il regrettait de ne pas être allé le voir en prison une seule fois. M'man elle, elle fixait simplement le contenu de son assiette, comme si elle planifiait une campagne de foule archéologique entre deux gnocchis. Le père s'était alors levé, et Amandine avait craint le "reviens à table, mal élevé". Mais son père avait juste tout doucement frappé à la porte, et dit, d'une fois qu'elle ne ne reconnaissait pas