Chapitre 0 [Suite du Prologue]

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Dix minutes plus tard, une voiture s'arrêtai devant Evan. Il s'agissait d'un vieux modèle, comme en témoignait le bruit de tracteur qui émanait du dessous du capot, mais qui possédait au moins l'avantage de disposer d'une tenue de route fiable. La fenêtre conducteur du véhicule s'abaissa dans un bourdonnement électronique, laissant apparaître le visage de sa mère, tout sourire.

- Coucou mon chaton ! Comment s'est passée ta journée ?

Il fallut au jeune homme un effort de volonté considérable pour masquer sa surprise. Après tout ce qu'il lui avait dit au téléphone, il s'attendait à se faire ensevelir sous les sermons dès les premières secondes de leur interaction. Sur toutes les réactions qu'aurait pu avoir sa mère, celle-ci était bien l'une des dernières à laquelle il était en mesure de penser. Passé le temps qu'il lui fallut pour reprendre possession de ses moyens, il répondit par un haussement d'épaules. Une réponse qui parut satisfaire sa mère.

- Monte, tu risques d'attraper froid.

Une fois la fille installée à la va-vite sur la banquette arrière, la petite voiture s'élança. Le silence s'était rapidement installé, qui aurait pu être pesant pour Evan si celui-ci n'était pas davantage préoccupé par le chiffre qui s'affichait sur le compteur de vitesse.

- Maman, je crois que c'est limité à cinquante.

- Tu aurais au moins pu me prévenir que tu sortais en avance, coupa-t-elle. Je suis embêtée, j'ai même pas pu prendre le temps de te préparer quelque chose à manger.

- Ce n'est vraiment pas grave, j'ai déjà mangé.

- Erik n'était pas censé être avec toi ?

- Il avait froid, il est rentré chez lui.

Evan ignorait s'il devait être soulagé ou inquiet que sa mère fasse abstraction de la situation présente. Rien chez elle ne trahissait le fait qu'elle avait conscience d'être en train de conduire une étrangère timbrée à l'hôpital. Le jeune homme peinait même à déterminer si sa façon de conduire était due à l'agacement ou à l'urgence. Elle menait la conversation, comme si de rien n'était, s'interrompant seulement lorsque ce qu'il se passait sur la route nécessitait l'intégralité de son attention.

- Sinon, tu as eu la note de ton devoir de maths ?

- Cinq.

- Sur vingt ?

- Oui.

- Je n'arrive pas à comprendre. Pourtant, c'est moi qui te l'ai fait, non ? De toute façon, il n'y avait pas à mettre des lettres dans cette matière.

Evan plissa légèrement les yeux, tentant de déchiffrer l'expression de sa mère. Elle restait naturelle, imperturbable, ne semblant pas le moins du monde impliquée par ce flot de mauvaises nouvelles qui s'abattait sur elle. Elle paraissait bien plus préoccupée par sa médiocre performance en mathématiques que par la vitesse de son véhicule et de ce qui se trouvait étendu à l'arrière de celui-ci.

À cette allure, il ne leur fallut pas longtemps pour arriver à l'hôpital. C'était un imposant bâtiment blanc, troué de fenêtres qui reflétaient les quelques pâles rayons de soleils qui filtraient à travers le nuages, et surmonté d'un héliport qui semblait ne jamais avoir servi. Son architecture carrée et son air délaissé n'était pas sans rappeler les vieilles khrouchtchevka soviétiques.

À peine la voiture garée devant l'entrée de l'hôpital que la mère d'Evan partit chercher les brancardiers. Le jeune homme se retrouva seul dans la voiture, en compagnie de la fille qu'il avait assommée. Son regard se porta sur l'image que reflétait le rétroviseur interne. Il la surveillait. La méfiance qu'il avait à l'égard de la mystérieuse femme était d'autant plus justifiée qu'il avait pu observer la facilité avec laquelle elle était venue à bout d'Erik - qui était pourtant un individu fort belliqueux. Evan savait pertinemment qu'il n'avait lui-même aucune chance si elle se réveillait et décidait de prendre sa revanche.

[ Une autre rive ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant