Mercredi
Dans la poche, le sang est rouge ou plutôt maronnâtre. On me donne une petite balle à presser pour que le sang circule. La poche bascule. Je regarde le petit écran qui indique les 40 centilitres qui me sont prélevés.
J'ai fait le contrôle habituel quelques minutes plus tôt. Où avez-vous voyagé, habité. Vous avez des maladies, vous prenez des médicaments, avec qui vous couchez. Plus personne, c'est du passé tout ça, ce n'est plus mon présent, ce sera mon futur mais je ne sais pas quand. Et je ne sais plus combien de fois j'ai donné mon sang. Ce ne sont pas des choses dont je parviens à me souvenir, ce sont des choses que je confonds, brouillées dans mon esprit et je préfère faire confiance à mon application Don de Sang. Elle me dit que j'ai sauvé 9 personnes, ça fait plaisir de le savoir.
J'aime regarder cette poche qui se remplit. Ca dégoûte d'autres gens, mais moi, j'ai toujours aimé le sang. Petite, j'aimais avoir une plaie dans la bouche pour aspirer mon sang. J'aime le rouge écarlate. Ca ne me gêne pas non plus de retirer les peaux mortes de mes lèvres pour qu'elles puissent saigner un peu. Et puis, en parlant de mon rapport au sang, je ne peux faire l'impasse sur mes règles. Les premières. Des règles tant voulues, tant attendues. Je les attendais comme un cadeau, celui qui te dit que t'es une femme, enfin une grande, que tu n'es plus une enfant et que tu peux devenir quelqu'un. Les règles étaient pour moi une validation. Ma mère m'avait dit qu'elle avait eu les siennes au mois de juin de son année de quatrième. Il m'est arrivé la même chose. Le 9 juin 2017. Je suis quelqu'un qui se souvient avec une grande précision des dates importantes et les premières règles en font partie. Je suis comme ça, à penser à certaines choses dont les autres se moquent, à voir dans chaque geste un symbole et à me dire que tout a une signification. Étonnamment, je ne m'y connais pas du tout en astrologie, mais ça ne saurait tarder. C'était donc un jour de quatrième et il faisait beau. Ces mois de juin à l'école, légers et qui ont de magique l'énergie des beaux printemps. Nous étions chez une fille de ma classe. Le sang commençait à couler, s'échappait d'entre mes lèvres sans que je ne m'en rende compte. J'avais aimé l'année scolaire qui s'achevait, j'avais découvert les sentiments.
En rentrant chez moi ce jour-là, je suis allée aux toilettes et là, dans ma culotte, une large trace marron. Du caca ou du sang, ça ressemblait plus à la couleur du premier mais je savais que c'était le second. Mes premières règles, enfin.
Six ans plus tard, la poche de sang se remplit, je la regarde basculer de droite à gauche. De droite à gauche, d'un bord à l'autre, comme mon cœur. Incertain, il se balade. Ce jour-là, la poche de sang bascule et je ne sais pas ce qu'il va m'arriver. Ce jour là, je vais basculer dans un état second. C'est une histoire assez dingue qui va me prendre aux tripes comme jamais cela m'était arrivé. J'aimerais me voir à ce don de sang, me voir innocente face à la suite. Le matin même, je faisais un exposé sur Berlin. Ca avait vraiment plu aux gens, à la professeure surtout. Je parlais de quelque chose que j'aimais vraiment. Chaque jour, je mets une musique dans une playlist en rapport à ma journée. Ce jour là, je tape dans la barre de recherche Spotify «berlin», en première proposition, j'ai Berline de Ronisia. Ce n'est pas du tout le même mood que mon exposé mais j'ajoute quand même, ça me fait rire, ça n'a rien à voir. Mais au moins, je m'en souviendrai. D'autant plus que c'est le jour du basculement.
Si t'es le chouchou des nanas j'me taille
Et sur un coup d'folie, j'peux tout lâcher, c'est banal [...]
Tu m'as fait monter dans la berline
Tu m'as dit, «c'est toi qu'je veux bébé»
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à toutes les coïncidences
RomanceA partir de ce jour de mars, rien ne sera jamais plus pareil, car elle est tombée amoureuse d'Adèle. Un amour passé au scalpel, décortiqué et mis à plat. Parce qu'il le fallait. Je m'effraie, Mais je dois raconter. Aimer et écrire vont de paire. J...