CHAPITRE 02

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Il y a cette atmosphère étrange en automne, une atmosphère que l'on ne retrouve dans aucune saison de l'année. Une mélancolie de l'été qui se mélange gracieusement à l'excitation des fêtes de fin d'année. On se plaint du froid autant qu'il soulage, après des mois d'atmosphère suffocante. La nature se prépare à l'hiver qui approche, les couleurs flamboyantes des feuillent contrastent avec le ciel gris et les jours qui raccourcissent. On se prépare mentalement et physiquement pour les mois plus froids à venir, et la promesse et l'excitation des fêtes de fin d'année commencent à se faire sentir. Toutes ces choses que l'on évite, le reste du temps, qu'on affirme ne plus vouloir, deviennent soudainement au centre de l'attention. Les fantômes, les sorcières et les squelettes, dont on parle aux enfants pour les terrifier, les empêcher de faire des bêtises, sont les nouveaux héros des histoires du soir. Les monstres ne sont plus si effrayants, au final. Ils en deviennent presque amicaux, drôles. On compatit avec eux, leurs déboires et leurs solitudes. Eux qui nous font frissonner deviennent nos amis. Durant cette période, il est presque de notre devoir de leur faire comprendre qu'il ne sont plus seuls. Alors on en parle, on les raconte et on les dessine, on les affiche dans les maisons, les magasins et les postes de télévisions. Ces créatures si répudiées le reste du temps, les parfaits faire-valoir, reprennent enfin une place de choix pour être aimés.
Il y a pourtant des monstres qui, automne comme hiver, à Halloween comme à Pâques, restent indiscutablement seuls. Ce sont ceux dont on ne parle pas dans les contes, ceux qui sont trop terrifiants pour être dit aux enfants. Ceux qui restent tapis, tout au fond de nous, dans ce petit coin de notre tête. Juste à l'arrière du crâne. On le sent gratter, de temps en temps, comme un rat qui s'agite, griffe pour essayer de s'échapper. Ces monstres là, ceux qu'on ne laisse même pas sortir dans les histoires, ne trouvent jamais de compassion dans nos yeux. Il n'y a que le dégoût, lorsque, pour une fois, ils osent pointer le bout de leur nez, laissent entrapercevoir l'éclat de leurs yeux jaunes.Malgré leur solitude, ils continuent à vivre dans les recoins les plus sombres de notre esprit, attendant le jour où, peut-être, on les autorisera à sortir.

Certains ne savent pas les dissimuler. Ils ne l'ont jamais appris, n'en ont pas envie ou les monstres sont tout simplement trop nombreux ou trop gros pour pour être cachés. Peut-être font-ils incroyablement bien la cuisine, ou sont-ils des dessinateurs hors paire, peut-être donnent-ils tous les mois à des œuvres de charité, mais lorsqu'on les regarde, on ne voit que les monstres qui sortent par tous les pores de leur peau. On les parque entre eux, parce qu'il n'y a rien d'autre à faire, parce que ces monstres là ne sont pas de ceux que l'on fait disparaître d'un coup de baguette magique. Alors on les enferme, avec leurs humains, pour qu'ils ne puissent plus jamais sortir.
Et puis il y a ceux qui restent tapis dans l'ombre, attendant silencieusement leur moment. Ce sont peut-être les pires. On ne sait jamais où ils se cachent. Ils peuvent être dans tout un chacun, au détour d'une ruelle, au fond de ceux qu'on aime. On a beau faire ce qu'on veut pour les éradiquer, les ignorer, les museler, ils restent là, invincibles et invisibles. Ils attendent leur heure, prêts à bondir, mordre, déchirer la chair et les os, tout ce qui se trouve en travers de leur route. On ne les désire jamais, ces monstres insidieux. Ils ne nous tuent pas, mais ne nous rendent pas plus forts pour autant. Indomptables, ils ne sont rien d'autre que des agents de destruction en sommeil. Leur nature vicieuse est tellement que, parfois, on en vient à oublier leur existence, jusqu'à ce qu'il ressurgissent dans toute leur brutalité.

Jamais Roxane Wilde ne pourra oublier l'existence de son monstre. Elle avait pensé, il y a quelques années, qu'au fil du temps, il deviendrait un vieil ami. Une créature immonde qui révèlerait son utilité en temps voulu, qui avait simplement besoin d'un peu d'attention, d'entraînement et de compréhension. Lorsqu'elle avait réalisé que son monstre n'était pas de ceux que tout le monde a, elle avait essayé de le museler, le mater, l'abattre à force d'épuisement. Le monstre était bien plus complexe que ça. Il était insaisissable, insubordonné et semblait grandir à chaque nouvelle tentative de la laisser tranquille.

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⏰ Dernière mise à jour : Nov 14, 2023 ⏰

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