Chapitre 1 - Adieu Albert

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La semaine dernière, Albert a cru faire preuve de subtilité en résumant mon comportement social. Selon lui, je serais l'enfant illégitime d'une oie cendrée et d'un suricate de Namibie. L'image de ce monstre inconstant et hyperactif recouvert de poils et de plumes a eu un effet désastreux sur mon ego déjà peu glorieux. Les dommages collatéraux d'ordre matrimoniaux qui ont suivis cet affront sont d'une banalité ennuyeuse et pourtant ils ont certainement contribué au récit qui suit.

Albert qui se console aujourd'hui dans les bras de Géraldine ma voisine, a tout d'abord regretté et imploré en forçant le trait, ce qui a révélé en moi une fonction de bourreau que je méconnaissais jusqu'alors. Je l'ai écouté pleurer et gratter à ma porte pendant plus d'une semaine. Et un matin, d'un coup de stylo assuré, je l'ai rayé de ma vie. Je ne sais s'il aura lu ma lettre, mais de l'envoyer me donna des ailes.

Laissant là, le bougre et ses remarques désobligeantes de naturaliste frustré, je profitais d'un congés estival bien mérité pour partir seule. Confirmant, bien malgré moi, un comportement identique à celui d'une oie recherchant chaleur et nourritures amoureuses lorsque celles-ci se tarissent.

J'élue domicile dans une jolie résidence de bord de mer, occupée par une brochette savoureuse de retraités bien heureux, gardiens de leurs nombreux petits enfants, caniches et chats choyés.

Mais malgré ce cadre idyllique et tranquille je ne pu que constater mon incapacité à me détendre et à oublier l'affront fait à ma personne.

J'avais espéré mettre à profit ces vacances ensoleillées pour digérer l'insulte douteuse d'Albert. Malheureusement, certaines vérités, même à moitié vraies, lorsqu'elles sont assénées par un professionnel, peuvent vous envoyer au tapis pour une durée indéterminée.

Un beau matin de canicule, alors que je griffonnais des êtres hybrides et hideux sur un bout de nappe tachée de café, tout en ronchonnant sur mon sort, une fourmi me fixa longuement avant de rejoindre sa colonie. Je la vis donner des ordres...En quelques secondes un long serpent noir se mit à dessiner des arrondis là ou la nappe était restée blanche. Mon esprit décrypta rapidement un « B ». Mon imagination pris le relais et afficha une formule digne d'un Einstein de six ans : lettre « B » + nappe en papier + croissant chaud au carré = Bernard au beurre.

Mon inconscient prenait le pouvoir sur la raison et d'une idée saugrenue je fis une évidence. Pour être honnête, cette intuition surgit de nulle part me tendait les bras depuis mon arrivée en ce lieu. Mais je la repoussais chaque matin en déployant un nombre infini d'excuses.

Encore hésitante, j'avalais un café trop allongé et lorsque je pus voir le fond de la tasse, ma décision était prise. Partir à l'aventure sur un terrain inconnu était tout à fait indiquée aux vues de mon état.

Le lendemain matin à 7h30 précise, je poussais enfin la porte vitrée de la boulangerie du village. La résidence se trouvait à deux pas et j'avais déjà pu observer le va et vient très féminin a chaque heure de la journée devant cette échoppe. Les murs semblaient attirer plus que de nature la gente féminine du village, attroupement incongru et disproportionné, étrangement calme, une armée d'amazone philosophe et patiente.

Intriguée je dû attendre la nuit pour inspecter les lieux. Pas de trace de pancarte annonçant le plus grand boulanger de France ou ventant une spécialité locale; Seulement une affiche qui a elle seule pouvait expliquer la situation.En effet, qui ne succomberait pas à la photo du boulanger , un dieu de beauté, sur laquelle une accroche plus alléchante qu'intrigante  : « Bernard, Boulanger artisan et coach en méditation.

J'ai cultivé mille vies en moi, mais les graines de la méditation n'ont jamais trouvé leur place dans cette prairie sauvage. Fort heureusement, je ne suis pas une jardinière butée. Le destin me lançait une liane, et mon âme quelque peu secouée s'y accrocha.

Lorsque que ce mercredi matin, je pénétrais donc dans la petite boulangerie, et le regard fixé sur les pains au raisin, je sentis rapidement que quelque chose me troublait et ce n'était pas la bonne odeur de beurre.

j'achetai une quantité impressionnante de viennoiserie. Comment pouvais-je aborder la beauté qui, d'une main agile et experte,  déposait ma commande dans des petits sachets bruns.

Arrivée à la caisse, je levais enfin le nez et bredouillais un « vous pratiquez aussi la méditation, donc , heu, je»

L'homme, que  dis-je..., l'Apolon, me fixa et d'une main beurrée me tendit une carte de visite au lettrage pailleté.

"Je propose toujours une séance d'essai gratuite, à vous de voir".

C'était tout vu! Je m'enfuie de l'échoppe en me frayant difficilement un passage parmis des femmes trop parfumées, trop maquillées qui déjà me détestaient. Le boulanger venait de tripoter sa jolie moustache, signe que mon tout était venU. Le mistral me poussa jusqu'à la résidence et c'est au troisième croissant que je pris ma décision.

Si la pratique de la méditation du boulanger était aussi délicieuse que le fondant de ces croissant , j'avais tout intérêt à tenter l'expérience . Partir à la recherche de mon Moi intérieur en compagnie de ce dieu de beauté ne pouvait que m'apporter du bien être.

Albert m'avait perturbée......j'allais batifoler avec Bernard!

Méditation MéditerranéenneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant