A partir de ce jour-là, ma relation avec Anya a pris une tournure différente. Nous nous voyions plus régulièrement, et... de façon plus intime également.
Pourtant, jamais une seule fois nous ne nous étions dit « Je t'aime » – nous n'étions pas un couple. Bien que cela soit contraire à mes valeurs, ou du moins je le pensais jusqu'alors ; les choses s'étaient faites de manière si naturelle qu'il ne me venait même pas à l'idée de remettre en question la nature étrange de notre relation. Je ne comprenais pas bien ce que je ressentais envers lui, ni ce qu'il ressentait envers moi ; j'avais simplement l'impression que nous pansions mutuellement nos blessures ouvertes, dans une étrange valse où nous enviions chacun le corps de l'autre.
Lorsque j'étais avec lui, j'avais l'impression de pouvoir être moi-même, de m'abandonner à mes sentiments sans craindre l'extérieur. Plus rien n'avait de conséquences. Le reste, les autres ne revêtaient plus la moindre importance à mes yeux. Puis, dès lors que je sortais de la pièce, le doute m'assaillait de nouveau et mes jambes se mettaient à trembler.
Cette honte inidentifiable mais toujours présente, dans un coin de ma tête. Cette honte qui s'obstinait à venir détruire quelques rares moments de bonheur. Avant, lorsque la femme en moi ressurgissait, je ne faisais rien et attendais simplement qu'elle finisse par s'en aller d'elle-même, comme un chien la queue entre les jambes.
Mais depuis que je vivais ma féminité, le doute m'habitait constamment.
Je goûtais au bonheur éphémère d'être une femme... mais à quel prix ? A chaque fois, la chute n'en était qu'un peu plus difficile. J'en venais peu à peu à m'en vouloir d'avoir creusé et découvert cette vérité interdite. Je ne savais toujours pas ce qui serait le mieux pour moi : accueillir à bras ouverts comme je tentais de le faire ou alors rejeter hargneusement cette « femme » qui semblait vouloir m'étouffer de l'intérieur lors de mes activités quotidiennes.
Qui me mettait en danger.
Je voulais le lui dire, à cette « femme en moi » : qu'elle avait beau s'acharner, nous ne pourrions jamais vivre heureuses dans ce monde où les hommes doivent à tout prix cacher leur féminité.
Et puis... je ne voulais pas choisir un côté. Pourquoi ne pouvais-je pas simplement être perçue comme les deux à la fois ? Là se trouvait la solution. Pourtant, elle me semblait être un fantasme, un idéal impossible à atteindre.
J'avais essayé de faire part de ces doutes à Anya, à demi-mot alors qu'il était venu au restaurant – en tant que John, cette fois-ci. Il s'était contenté de lever un œil de son journal en déclarant sur un ton dénué d'émotion : « Nous sommes dans la même situation, Volya. Il n'y a pas de réponse. Nos vies sont forgées par le doute. Telle est notre malédiction ».
J'ai alors réalisé, malgré mon agacement, qu'il était plutôt égoïste de ma part de me plaindre et de me voir comme une erreur alors qu'il semblait vivre la même chose.
Puis un jour, tout a basculé. J'ai téléphoné à mes parents – chose qui, à mon grand regret, arrivait de moins en moins souvent tant j'avais peur de devoir un jour me soumettre à leur jugement.
J'ai eu mon père.
Il était furieux.
–Volya ! C'est donc ça que tu fabriques ? Ton « petit boulot » à côté de ton travail ? Tu traînes avec des travelos !? Mais tu as complètement perdu la tête !
–Q... Quoi ? ai-je balbutié, sentant un cube de glace tomber dans mon estomac.
Comment avait-il su ?!
–On t'a vu, dans le journal. Travesti ! En robe ! Mon fils, en robe de soirée ?! Ta mère a failli faire un malaise, et tu sais comme son cœur est fragile. J'aurais dû me douter que c'était bizarre, tes histoires de photo et de magazine ! A quel moment t'as déraillé comme ça, pour l'amour de Dieu ?!
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Anya [COMPLET]
RomanceEurope, années 1960~70. La drag queen "Anya" fait un tabac grâce à son androgynie et son élégance hors du commun, et les journalistes se battent pour connaître son secret. Admiratif, le jeune Volya Ostrowski décide de le rencontrer en personne. Mais...