La neige tombe avec légèreté, les lumières de la patinoire brillent dans le noir et le vent froid fait virevolter mes longues mèches rousses. Les larmes roulent sur mes joues, silencieuses.
« Pardon Aaron ».
Mes pas se font plus rapides et je m'éloigne de tous, je fuis les deux choses que j'aime le plus au monde et qui me sont pourtant inaccessibles. Je fuis ma passion pour le patinage artistique ainsi que mon amour pour lui. Cela fait vingt ans que je connais Aaron, depuis ma naissance. Nous avons grandi ensemble et je n'aurais jamais pensé que je pourrai un jour tomber amoureuse de mon meilleur ami. Depuis la mort de Liam, l'amour n'avait plus de sens. Je me contentais de survivre et Aaron était là pour me soutenir, je n'avais jamais compris que ce qui me tenait vivante, c'étaient les sentiments que je développais pour lui, du moins pas avant aujourd'hui.
Aaron m'aime. Il m'aime, il me l'a dit. Et moi j'ai peur, je suis terrorisée au point que je n'ai rien réussi à répondre à sa déclaration. Je me suis lâchement enfuie et maintenant je sens mon cœur se briser lentement. Je file dans la nuit telle une âme perdue, je veux partir, partir là où la douleur et la peine n'existent pas, partir loin de tout et de tout le monde. Je fonce sans regarder devant moi et ne relève la tête que lorsqu'une voiture klaxonne en me frôlant de près. Je recule, perdue et fixe la route devant moi quand le son d'une voix me fait sursauter. Sa voix.
- Iris ! Attends !
Je me retourne le cœur battant et le vois venir vers moi à grandes enjambées. Ses cheveux dorés tombent par petites mèches sur son visage, ses yeux gris-verts brillent sous la lumière des guirlandes de Noël qui décorent le parking, ses joues sont rougies par le froid et une légère fumée sort de sa bouche. Il se plante devant moi et m'attrape doucement les mains tandis que je détourne le regard n'arrivant pas à lui faire face.
- Pourquoi ? me demande-t-il d'une voix si tremblante qu'elle pourrait se briser.
Je secoue la tête sans le regarder.
- Iris, si tu ne m'aimes pas, tu dois me le dire. J'ai...j'ai besoin de savoir, me supplie-t-il en essuyant une larme sur mes joues.
- Ce n'est pas ça, soufflai-je.
- Alors quoi ?
- Tu ne comprends pas...tu ne peux pas comprendre.
- Alors, explique-moi.
- Je...J'ai peur Aaron. Je suis terrorisée, terrifiée à l'idée que je pourrai oublier Liam en aimant à nouveau. J'ai peur de te perdre comme je l'ai perdu lui, peur de souffrir encore. Je ne veux pas que tu réalises à quel point je suis brisée, parce que, oui, je suis en miettes, Aaron. Mon cœur est craquelé et mon âme fissurée. J'ai si peur que tu fuis en le voyant. J'ai toujours tout fait pour me convaincre que je ne t'aimais pas, tu sais. Qu'adviendra-t-il de nous si ça ne marche pas ? Je refuse de perdre notre amitié pour ça, je tiens bien trop à toi. Et pourtant, je n'arrive plus à faire semblant. Je veux être heureuse, je veux rire à nouveau, réapprendre à me lâcher mais j'ai peur. Oui c'est peut-être lâche et oui, c'est peut-être égoïste mais si je tombe à nouveau, je sens que je ne me relèverai plus...
J'ose enfin le regarder et il s'approche encore un peu plus de moi. Nous sommes si proches que nos souffles se mélangent. Il pose ses mains en coupe autour de mon visage et me sourit tristement, une larme roule sur sa joue quand il me répond.
- Et moi, c'est toi que j'ai peur de perdre. Tu laisses la peine t'effacer petit à petit et tu refuses d'essayer mais t'es-tu demander ce qui pourrait arriver si ça marchait ? Je t'aime Iris, je t'aime et crois-moi je ne te lâcherai jamais. Je sais déjà à quel point tu as souffert. Je sais déjà à quel point tu es abîmée mais peu importe, je veux être avec toi, toi et seulement toi. Je veux te faire rire, je veux pleurer avec toi, te consoler quand ça ne va pas, te prendre dans mes bras à chaque fois qu'on en aura besoin. Tu n'oublieras jamais Liam, Iris. Il a fait partie de toi, de ta vie, il t'a permis de te construire et il est comme toutes ces personnes que l'on rencontre chaque jour, il a laissé une trace sur toi et à contribuer à la construction de celle que tu es aujourd'hui. Tu l'as aimé de toute ton âme et de tout ton cœur, alors non, tu ne l'oublieras pas. Tu continueras même de l'aimer au fin fond de toi-même car on n'oublie jamais ceux que l'on aime, je le sais Iris. Mais je sais aussi que tu es assez forte pour te relever et même si tu ne le vois pas tu as déjà commencé à le faire. Tu m'as déjà prouvé que tu étais encore capable d'aimer. Tu souffres, tu te brises en silence et malgré ça, tu arrives encore à aider les autres sans te soucier du fait que, c'est toi qui aies besoin d'aide. Laisse-moi t'aider, laisse-moi t'aimer, Iris.
Nous pleurons tous les deux à présent. Il pose son front contre le mien et je pose une main sur sa joue. Je me rapproche doucement et nous nous embrassons. La terre se dérobe et seule la neige est témoin de notre amour. Des papillons s'envolent dans mon ventre et je l'embrasse encore et encore jusqu'à en perdre le souffle. Ma conscience s'allège et mon corps se réchauffe. Mes mains passent dans ses cheveux et il me sert plus fort dans ses bras. Nos lèvres se séparent et nos yeux se croisent. Je lui souris timidement et attrape sa main alors qu'une idée me traverse l'esprit. Je le guide sans un mot à travers la ville. Nous traversons la foule sans nous soucier des gens qui passent. La neige tombe à gros flocons et des lumières, de toutes les couleurs, dansent autour de nous. Nous arrivons devant l'immense sapin du centre-ville et nous admirons sa splendeur. Je lui jette une œillade complice sachant très bien qu'il sait où je veux en venir.
Alors, comme quand nous étions petits, nous faisons un vœu. Je souhaite d'être heureuse ; je veux que le sentiment de bien-être, qui m'a envahi dure. Je veux que le temps recommence à s'écouler. Pour la première fois depuis 3 ans, je réalise que ma vie était sur pause, que le temps s'était figé en m'emprisonnant dans ma douleur. Aujourd'hui est un nouveau départ. Je brise enfin les chaînes du deuil et je souhaite recommencer à vivre, avec Aaron, parce qu'il est la lumière d'espoir qui brille dans la nuit qui m'a engloutie. J'ouvre à nouveau les yeux et je reprends ma respiration. Mes souvenirs défilent et je comprends, je réalise enfin, qu'au fond, c'est certainement ce que Liam aurait toujours voulu, mon bonheur...
Des bras s'enroulent autour de ma taille. Je me blottis contre Aaron et nous restons là, murés dans un silence complice, à nous remémorer tous les souvenirs passés devant cet arbre. Je sais que lui aussi pense à Liam. Et je prends une décision. À partir d'aujourd'hui, je vivrai pour toi qui ne le peux plus. Je ferme les yeux et me détends envahie par la chaleur du corps d'Aaron contre le mien et je fais le vœu de vivre ainsi pour toujours, comme dans un rêve et loin de la dureté de la vie. Je souhaite qu'on ne me reprenne plus jamais ceux à qui je tiens.
- Je t'aime, déclarai-je.
- Moi plus, souffle-t-il dans mon oreille et je ne peux m'empêcher de sourire.
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États d'âme d'une écrivaine en herbe
Short Story"Je lève la tête à l'affût de la moindre source lumineuse quand une multitude de petites bulles me tombent dessus." *** "Les odeurs me parviennent me replongeant dans mes plus beaux souvenirs et me redonnant confiance...