Lune Rose [6/6]

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Alexandre replaça correctement la rose rose pâle accrochée au-dessus de son cœur. La mienne était d'un rose plus foncé. Bon nombre de rosiers avaient été détruits pour cette cérémonie, le village avait perdu de ses couleurs sans eux, s'en était presque triste.

Alexandre était extrêmement tendu, bien plus que je ne l'étais moi-même. Discrètement, je me rapprochais de lui et mes doigts effleurèrent sa main du bout des ongles. Je le sentis se détendre à peine. Le reste du village ne faisait pas exception, une bonne partie d'entre eux donnait l'impression de risquer de s'évanouir d'un instant à l'autre. La tension était bien plus que palpable, je n'arrivais pas à trouver le mot adéquate pour décrire à quel point elle était exponentielle.

Les femmes portaient toutes un accessoire rose dans les cheveux, allant de la simple barrette et à un bandeau rose. Parfois, l'une d'entre elles tenait une rose entre ses doigts. Les hommes quant à eux, portaient, épinglés sur leurs vestes, des roses de toutes les teintes. Certains d'entre eux portaient même des cravates roses. La place entière était un hymne au rose, pourtant, si cette couleur était habituellement associée à l'amour, elle ne l'était plus du tout ce soir.

Lorsque la Lune Rose fut visible par tous, Lizbeth sortie des rangs et se dirigea près de la fontaine. L'ambiance s'alourdie alors d'autant plus. Les doigts d'Alexandre se refermèrent autour des miens et ce simple geste me réconforta aussitôt. Lizbeth leva les mains vers le ciel et commença alors une longue prière appelant à la clémence cette divinité qui les punissait depuis tant de temps. Le vent se leva alors, s'engouffrant violement entre chacun d'entre nous. De petits cris s'échappèrent accidentellement, Lizbeth ordonna fermement le silence et recommença sa prière de plus belle. Les flambeaux autour de nous bougeaient dangereusement, leurs flammes donnaient l'impression d'être animées par leurs propres volontés. Je n'arrivais pas à détacher mon regard des flammes, je craignais qu'un incendie se déclare et que la place entière disparaisse sous les flammes de l'enfer qui s'abattaient sur ce village.

Deux hommes de grande carrure tiraient avec eux un veau tout juste né. L'animal beuglait de toutes ses forces et essayait de lutter contre la corde qui entravait son cou. J'étais certain de pouvoir entendre sa mère lui répondre, non, je l'entendais. Ses cris étaient agonisants, désespérés, elle appelait la chair de sa chair sans réussir à venir le sauver. Le veau était encore humide de sang, il était né il y a à peine quelques heures, une tout au plus. Comment pouvaient-ils le sacrifier de la sorte ?

Son regard était terrifié, j'étais certain qu'il savait ce qu'il allait lui arriver. Arrivés devant Lizbeth, le veau beugla plus intensément et se débattit avec tant de force qu'un des hommes bascula et tomba à genoux, lâchant alors sa prise. Le veau en profita pour fuir, provocant sous son passage des hurlements de terreur. Le visage de Lizbeth avait blêmi, elle criait aux hommes présents près d'elle d'arrêter le veau. La place ne tarda pas à se transformer en scène de chao, les gens courraient dans tous les sens, essayant tant bien que mal d'attraper le pauvre animal. Ni Alexandre ni moi ne bougea pour les aider, je ne voulais pas participer de près ou de loin à la mise à mort de ce petit être innocent et tout juste nait.

Au-dessus de nos têtes, la Lune rose se faisait de plus en plus grosse, plus intense également et Lizbeth la regardait terrifiée. Comme pour répondre à sa peur, un unique hurlement de loup s'éleva dans la forêt et transperça chaque personne présente sur la place. Le veau se figea instinctivement et quand il reprit ses esprits, c'était beaucoup trop tard, la foule s'était refermée sur lui et une multitude de cordes s'étaient enroulées autour de lui. Je sentis mon cœur se serrer dans ma poitrine, j'aurais aimé qu'il puisse s'échapper, qu'importe ce qu'il arriverait ensuite. Je serrais doucement les doigts d'Alexandre entre les miens, essayant de chercher un peu de réconfort.

Cette fois, cinq hommes ramenèrent le veau au pied de Lizbeth, ne lui laissant plus aucune chance de fuite. La vieille femme reprit un discours que j'entendis à peine et l'expédia rapidement après avoir levé les yeux une dernière fois vers la lune qui ne cessait de grossir et de devenir menaçante. Elle semblait être pressée par le temps. Elle s'agenouilla devant le veau, récita une prière et égorgea l'animal. Il poussa un horrible beuglement de douleur, elle n'avait pas été capable de le tuer sans lui apporter plus de souffrance qu'il n'en avait subi jusqu'alors. Des murmures s'élevèrent autour de nous, je n'étais pas le seul à être indigné par ce sacrifice raté. De longues minutes s'écoulèrent avant que le veau ne rende son dernier souffle. Au loin, sa mère poussa un cri déchirant, elle avait senti que son fils n'était plus. Le loup qui avait hurlé plus tôt lui répondit alors, avant que la meute ne rejoigne la danse.

Lizbeth ne chercha pas à prolonger la cérémonie et invita tout le monde à rentrer chez soi. Personne ne se fit prier et la place se vida rapidement. Je regardais une dernière fois la vieille dame qui affichait un visage pâle et inquiet. Le cadavre du veau fut emporté à l'opposé du groupe, suivi de son bourreau. Alexandre tira doucement sur ma main et je repris avec lui le chemin de notre maison. Une fois à l'intérieur, on s'attela à vérifier si chaque volet, chaque fenêtre étaient bien fermés. Une fois la porte d'entrée fermée à double tour et la chaise posée contre la poignet, Alexandre m'accompagna sous la douche. Je voulais me débarrasser de l'odeur de sang qui me collait à la peau.

Parfois, nous pouvions entendre les hurlements des loups autour du village. Aujourd'hui, et pour la première fois depuis que nous étions ici, Alexandre ne voulut pas les observer et semblait même ne pas vouloir les entendre. Il alla simplement dans le lit et posa un coussin sur sa tête, comme pour étouffer les hurlements autour de nous. La nuit qui suivit fut courte et remplie de cauchemars, pourtant, j'aurais préféré qu'elle ne laisse jamais le jour revenir.

Le son d'un clairon nous réveilla en sursaut. Depuis notre arrivée ici, jamais nous ne l'avions entendu. Quelque chose clochait. Alexandre fut le premier à réagir et ouvra les volets en tout hâte, aussitôt les cris des villageois entrèrent dans la maison.

« Habille-toi ! Vite ! »

Lorsque nous sortîmes de la maison, de nombreux villageois passèrent près de nous sans nous voir. Leurs visages trahissaient une inquiétude certaine. Cette nuit, une tragédie avait eu lieu. Alexandre ajusta discrètement la caméra cachée qu'il avait sur lui et nous prîmes la même direction que celles des personnes autour de nous, celle du lac.

Une fois sur place, l'attroupement était immense, presque tout le village était présent. Avec peine, nous réussîmes à nous glisser jusqu'au premier rang. Durant toute notre course jusqu'ici, je m'étais imaginé tout un film sur ce que nous allions trouver ici, mais toutes mes hypothèses étaient loin de ce qui se trouvait sous nos yeux.

Devant nous se trouvait le corps profané de Lizbeth. Ses yeux étaient grands ouverts, laissant entrevoir la terreur qu'elle avait ressenti lors de ses derniers instants. Sa gorge avait été tranché de manière barbare et je ne pouvais imaginer la douleur qu'elle avait dû ressentir. La coupe ne semblait pas nette, elle donnait la désagréable impression d'avoir été faite pour faire souffrir volontairement. Sa main droite n'avait pas été épargnée, ses doigts avaient tous été brisés et retournés, encore une fois comme pour punir. Sa bouche était grande ouverte, laissant s'échapper d'entre ses lèvres des pétales de roses noires qui semblaient avoir été enfoncées jusque dans sa gorge. Sur sa poitrine, un trou béant laissait entendre que son cœur avait été arraché, l'absence de sang autour du trou prouvait qu'il avait été arraché après sa mort.

Rapidement, les deux habituels compagnons de Lizbeth recouvrir son corps d'un drap et obligèrent la foule à se disperser sur le champ. Alexandre attrapa ma main et me tira à la suite des autres villageois. Il se pencha auprès de mon oreille et murmura.

« Le loup blanc était là hier soir. Il y a des empreintes plus grosses que celles d'un loup normal. »

Un regard en arrière suffit à me rendre compte qu'il disait vrai. Les plaies sur sa gorge revinrent dans mon esprit. J'étais sûr qu'elles avaient été faites dans l'unique but de faire souffrir la vieille femme. L'évidence apparut alors.

« Elle a été puni pour ce qui s'est passé hier Al. »

Alexandre s'arrêta et me dévisagea longuement. Il tourna ensuite la tête vers le drap que nous voyions encore. Un long silence s'installa entre nous. J'étais sûr de moi, elle avait les mêmes plaies que celles du veau et hier soir, j'étais certain d'avoir aperçu de la peur dans son regard.

Elle savait qu'elle sera punie pour la souffrance qu'elle avait causé à ce petit veau.

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⏰ Dernière mise à jour : Dec 12, 2023 ⏰

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