Le jour inconnu

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Sa conscience revenait peu à peu. Ses paupières s'allégeaient puis s'ouvraient ; laissant place à ses beaux yeux vert pâle. Aglaée aperçut en premier les murs de la pièce qu'elle reconnut rapidement ; ceux de sa chambre. Puis, elle remarqua ce siège posé à côté du lit ; contrairement à son souhait, personne ne s'y trouvait.

Après plusieurs minutes qui lui semblaient être des heures, la jeune fille se redressa en gémissant face à ses membres engourdis. Son poignet la démangea, elle s'apprêta à le gratter et y vit ce qui paraissait être un fil qu'elle arracha sans vraiment réfléchir. Cela lui procura une légère douleur accompagnée d'un grincement de dents. Elle réussit, lentement, à sortir de son lit et pût poser ses pieds au sol ; un sol qu'elle ressentit froid puis, glacé et humide. Aglaée, perturbée, observa alors ses pieds. C'est là qu'elle la vit ; cette eau trouble couvrant ses jambes de moitié. Sa chambre était inondée.

« Maman ? Dit-elle d'une voix fébrile, à peine réveillée. Mais aucune réponse.

Aglaée le savait, même en habitant à Venise, l'acqua alta n'était jamais montée à ce point ; et encore moins dans la maison. C'est pourquoi elle commença à s'inquiéter.

Elle avança dans la pièce jusqu'à sa porte qui était grand ouverte. La jeune fille s'appuya alors sur l'encadrement ; sa tête était lourde et douloureuse... Non, son corps tout entier l'était, comme si cela faisait des années qu'elle ne s'était pas levée.

Elle se redressa doucement et pénétra ensuite dans ce couloir qu'elle connaissait depuis sa naissance. Son regard s'arrête sur les cadres photos accrochés aux murs. Ce sont ces images ; celle de sa mère tenant leur chat dans ses bras, celle d'elle et sa cousine allongées sur le sable, ou encore celle de son frère grimaçant, qui lui firent remarquer ce silence plombant.

« Maman ? » Rappela-t-elle.

Après un long silence, elle se répéta encore une fois.

— Maman ??! Rabâcha-t-elle cette fois d'une voix résonnante et d'une raucité étonnante.

Ce fût le même résultat. Elle tenta d'appeler son frère Théo ; en vain. Le silence se faisait de plus en plus angoissant. Après tout, comment réagiriez-vous, seule, à 15 ans, dans une maison inondée ?

Elle portait ses pas, ses mouvements ralentis par cette eau au sol qui la perturbait de plus en plus. Mais cela n'était pas la seule chose étonnante. Après cette eau et ce silence, elle remarqua aussi des moisissures constantes sur chaque cloison, comme si cette inondation ne datait pas de cette nuit.

Après avoir tourné à droite pour prendre la direction de la cuisine, Aglaé constata que la porte d'entrée était grande ouverte. En effet, la jeune fille avait un aperçu direct sur l'extérieur. Une fois sur le palier, du haut des quatre marches, elle vit toute la rue St Gallo inondée, tout comme les rues voisines. Elle n'avait jamais vu une telle inondation.

Tout à coup, Aglaé se retourna brusquement et s'aventura de nouveau dans les pièces noyées. Cette situation commençant à l'effrayer.

— Théo ?! Maman ?! S'écria-t-elle.

Sa voix tremblait. Elle était anxieuse, même angoissée. Elle se hâta jusqu'à la cuisine à la recherche d'une présence, d'un bruit, d'une aide, n'importe quoi. Il fallait qu'elle sorte de ce cauchemar. Elle espérait y voir sa mère y préparer son petit déjeuner, qui lui expliquerait qu'elle ne l'avait pas entendu quand elle l'avait appelé. Elle espérait la serrer dans ses bras. Quand était-ce la dernière fois qu'elle l'avait sentie contre elle ? Cela semblait être une éternité.

Malheureusement, son souhait fût brisé. À part l'entrechoquement de vaguelettes causés par ses gestes brusques ; aucune présence dans la cuisine.

La jeune fille s'arrêta un instant. Frottant ses mains sur son visage comme pour se réveiller d'un long sommeil. Puis, gardant ses yeux fermés, tentant de reprendre son calme, elle prit de profondes inspirations. Mais quand, après avoir de nouveau ouvert ses yeux et sonder de nouveau la pièce, rien n'avait changé. La cuisine ne se présentait pourtant pas comme abandonnée, elle était comme dans un état de pause. Il paraissait que d'un coup, dans cette maison et dans les rues de Venise, la vie s'était éclipsée.

Aglaé s'autorisa un dernier espoir. Se dirigeant d'un pas lent et craintif vers la chambre de Théo. Elle poussa la porte déjà entre-ouverte et se glissa dans la pièce. Elle scruta le moindre petit recoin. Soudain, elle vit une silhouette. Au départ inconnue, puis elle se rendit compte que ce qu'elle observait n'était qu'autre qu'elle-même, à travers le miroir. Mais ce ne pouvait être elle... Aglaé ne pouvait y croire... Sa peau avait muri, son corps grandi, ses cheveux ternis. Elle ne ressemblait plus à une fillette de quinze ans, mais à une jeune femme de bientôt trente ans.

Elle restait là, à se regarder, perturbée. Aglaé ne comprenait pas. Elle avait quinze ans, du moins c'est l'âge qu'elle semblait avoir la dernière fois qu'elle avait vu son reflet. Et pourtant, aujourd'hui, tout lui prouvait le contraire. Était-elle en train de rêver ? Était-ce une illusion ? Et si son reflet disait vrai et qu'elle avait réellement grandit pendant son sommeil, combien de temps avait-elle dormit ? Avait-elle fait un saut dans le temps ?


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⏰ Dernière mise à jour : Dec 18, 2023 ⏰

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