Noyade scolaire.

- ALLEZ ! SAUTE, BON DIEU !

Je me tenais fébrilement sur le plongeoir blanc uni de la piscine municipale, mes jambes nues prises de tremblements dans mon maillot de bain bleu marine, le regard affolé, la respiration désordonnée, et, surtout, le cœur battant en un rythme musical saccadé dans ma poitrine.

Derrière moi se tenait un homme d'une quarantaine d'années à la courte chevelure poivre et sel, vêtu d'un t-shirt simple et d'un sifflet argenté ornant son cou au teint pâle.

Formant un cercle autour de lui, un troupeau de filles longilignes aux chevelures brunes et blondes cachées sous des bonnets en silicone me regardait avec perplexité.

J'étais la seule rousse de la classe.

- DU NERF KIMBERLEY ! hurla Monsieur Criquet, le professeur de natation, en se rapprochant de moi à grandes enjambées. NE ME DIS PAS QUE TU VAS RESTER PLANTÉE LÀ JUSQU'À LA FIN DU COURS ?!

Si, justement. Je n'espérais que ça : que la sonnerie indiquant la fin de l'heure se décide enfin à sonner pour que je puisse rentrer chez moi, regagner mon lit avec ma musique à fond dans mes oreilles, et oublier, oui, absolument oublier cette journée d'horreur à la piscine.

Je dois oublier.

- KIMBERLEY !

Oui, je dois tout oublier.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il faisait jour. C'était l'été : les groseilles que la jeune fille ramassait sur le chemin de l'école étaient rouges et délicieuses sur sa langue, et le ciel semblait si bleu qu'il aurait pu rejoindre la mer, et ne former qu'un avec elle...

Elle était assez jeune encore : pas plus de six ans, bien qu'assez grande mentalement pour pouvoir se permettre d'être autonome et de préparer elle-même son déjeuner pour aller à l'école.

La petite fille avait hérité de la joie de vivre de sa mère, ainsi que deux de ses adorables fossettes, qu'elle arborait souvent avec un sourire resplendissant d'innocence.

Sa mère l'adorait.

Mais son père ne voulait pas d'une enfant dans sa vie.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Deux larmes brulantes s'écoulèrent sur mes joues maintenant dépourvues de toutes couleurs.

- N...non..., murmurais-je en un sanglot plaintif, mes membres pris de spasmes violents, les yeux exorbités d'horreur face à l'étendue d'eau qui se trouvait en dessous de mes pieds, sous ce même plongeoir qui me donnait l'impression d'être isolée sur un piédestal autour d'une mer entière.

Mon cœur semblait sur le point de se décrocher de ma cage thoracique tellement ses battements étaient précipités, je sentais les milliers de regards voyeuristes de mes camarades de classe se poser sur moi sous leurs rires et leurs mouvements moqueurs, et mes jambes refusaient toujours d'esquisser le moindre mouvement.

Je ne me sentais pas bien.

J'avais envie de vomir toutes les démangeaisons qui me prenaient aux entrailles, pour les rejeter en un flot de sang écarlate de mon être entier.

- KIMBERLEY ! hurla encore le moniteur en agrippant mon poignet fermement. TU ES LA DERNIÈRE À PASSER ! FAIS MOI CE FOUTU SAUT, BON SANG !

Il encrait tellement fort ses ongles jaunis dans ma peau que ça me faisait mal.

- Je...je ne peux pas monsieur...m...mettez moi zéro, je n'y arriverais pas...

Ça me faisait mal.

- Tout le monde doit essayer, insista-t-il en ne lâchant pas mon regard tout en gardant son emprise sur mon poignet tremblant. Ce serait du favoritisme si je te laissais passer sans même avoir touché l'eau. Alors arrête de faire la fille capricieuse et fait moi ce putain de saut. Personne ne partira d'ici tant que tu ne l'auras pas fait.