Tous les jours, il vient me voir.
Je lui répète pourtant à chaque fois de ne pas revenir, mais tous les jours, il vient me voir et me raconte sa petite vie. Me parle de sa femme, de ses petits-enfants, de leur vie à deux.
Parfois, il fait des pauses et ne vient qu'une fois dans la semaine, parfois les pauses sont plus longues et il ne vient qu'une fois par mois.
Il veut toujours me parler, mais moi ce qu'il dit, ça ne m'intéresse pas.
C'est une espèce de bénévoles pour vieux, quand on a peur que les personnes âgées se sentent trop isolées, on leur envoie un ou une bénévole pour leur tenir compagnie.
Je ne vois pas pourquoi j'en aurai besoin, je vis seul chez moi.
Ma femme n'est plus de ce monde et il est vrai qu'elle me manque, mais de là à perdre la boule, ça non jamais !!
Ça doit être l'idée de mon petit-fils ça encore : « Pépé t'as besoin de discuter avec des gens ! » qu'il disait et puis il a grandi, a fait sa vie et ne vient plus voir son petit pépé. Il est gentil ce bénévole, mais j'en peux plus de l'entendre, en plus il a un prénom à coucher dehors. Imprononçable et d'un moche. Franchement, je me demande bien quel est l'idiot qui a pu lui choisir un nom pareil.
M'enfin, je ne suis pas là pour me plaindre.
J'ai une petite infirmière aussi, toute mignonne, toute gentil. Mais têtu comme jamais.
Le jour où elle reconnaît ses torts, il va pleuvoir des asperges, je vous le dis-moi !! Je suis diabétique et je ne sais pas faire mes piqûres d'insuline tout seul, mes yeux ne fonctionnent plus comme dans le temps. C'est pénible de vieillir.
Je vous écris pour que vous ayez une trace de moi, pour ne pas être oublié. Le temps passe si vite et on court sans cesse pour le rattraper. Je me souviens, jeune garçon, comme je voulais aller vite, toujours plus vite. Faire le plus de chose possible en une seule journée.
24 heures n'étaient pas suffisantes pour moi. Le temps passé avec Monique, c'était pire. On aurait dit qu'il me filait entre les doigts, comme une glace qui fond quand le soleil est un peu trop sorti. Je n'ai pas eu le temps de voir mes cheveux se blanchir ou bien mon dos se tasser.
Je n'ai fait attention à mes rides que récemment. On se rend compte que de l'eau à couler sous les ponts quand pour passer des Charentaises aux chaussures de ville, il nous faut bien 15 minutes.
Vu que ce texte est pour vous, mes enfants, mes amies, mes proches, je sais ce que vous allez dire que je suis souvent ronchon, jamais content. Que pour me voir sourire, il faut se lever tôt ou alors m'apporter mon gâteau préféré.
Une tarte à la fraise !!
Ah la oui, dans ce cas, je vous pardonne tout.
Je sais que vous n'aimez pas que l'on aborde le sujet, mais à mon âge, je me dois de vous en parler. Si je pars avant votre mère, jeter mes cendres au pied de l'arbre de notre maison. Oui, l'arbre où on a gravé nos noms comme de jeunes gamins. Prenez soin de Chips, mon berger allemand préféré ! J'ai grandi avec, je ne voudrais pas qu'il soit maltraité !
Enfin, mes enfants, soyez heureux avec vos compagnes et traiter les comme des reines chaque jour que Dieu fait.
Je vous aime.
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« Salut pépé, ça fait bizarre de te parler à cet endroit, celui qui comptait tant pour toi.
Je suis venu te voir tous les jours à l'EHPAD même si depuis plusieurs mois, tu ne me reconnaissais pas. Tu envoyais bouler papa à chaque fois qu'il venait en le prenant pour un bénévole. J'y prenais à la rigolade et lui aussi, car tu étais un petit papi ronchon mignon. Louise ne t'en veut pas non plus, ne t'en fait pas. Elle avait juste du mal à supporter quand tu parlais de maman alors qu'elle est partie bien avant toi.
Enfin bref, je vais te laisser. Je venais juste t'apporter quelques fleurs et ta vielle pipe en bois. Je l'ai retrouvé en rangeant tes affaires et j'ai pensé que tu aimerais l'avoir avec toi.
Voilà, tu nous manques, mais on ne t'oublie pas. »
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Aloysius
RandomMême avec tout l'amour du monde, parfois on ne peux pas réparer ce qui est cassé...