PROLOGUE

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     "— Vous n'êtes que des incapables !" hurla Ysnera en lançant sa coupe contre le mur.

     Le choc de l'airain contre la pierre émit un son bref mais glaçant, et tandis que le liquide pourpre se dispersait sur le sol, l'épais tapis prenait une teinte sombre et inquiétante. Le seigneur des Terres du Nord tressaillit, la tête baissée. Tremblant, il posa un genoux au sol.

     "— Votre Majesté, dit-il d'une voix forte pour cacher ses tremblements, notre faute est immense. Seule la mort pourrait nous racheter. Toutefois, maintenant que notre vie est mise en jeu et qu'il n'est plus seulement question de notre honneur, soyez assurée de notre détermination la plus complète pour la tâche que vous nous avez assignée."

     Il releva lentement la tête et son regard croisa celui de l'impératrice. Il frissonna. La haine qu'il y lisait et la colère qui déformait ses traits le firent hésiter.

     "— Si vous nous laissez encore quelques jours, continua-t-il d'une voix moins assurée, nous vous le ramèneront sans faute. Quoi qu'il advienne..." cria-t-il précipitamment avec des larmes de peur qui menaçaient de couler sur son visage.

     Le souffle de la souveraine était rauque et sa mâchoire si serrée qu'il ne sortait de ses lèvres que des gémissements étouffés. Les autres seigneurs se consultèrent du regard avant de tomber un à un à genoux derrière lui.

     "— ... nous remplirons cette mission."

     Un lourd silence s'installa, interrompu par instant par le craquement du feu dans la cheminée et le fracas de la pluie contre le carreau. C'était le genre d'atmosphère qu'affectionnait particulièrement Rosanya. Ysnera se tourna vers le fauteuil près du foyer, s'attendant à la trouver assise là, un livre nonchalamment ouvert sur les genoux, ses ballerines pendant au bout de ses orteils alors qu'elle était installée de travers, les jambes dans le vide. Mais ses yeux ne rencontrèrent que l'ombre de ce souvenir, qui commençait déjà à s'estomper.

     Elle chancela et se rattrapa à la table en bois massif, ses ongles griffant le plateau. Les yeux pleins de larmes de rage et de tristesse, la jeune femme attrapa le poignard qui gisait là, hors de son fourreau, et le lança de toute ses forces, un cri d'animal blessé s'échappant de sa gorge. La lame transperça une toile ; il s'agissait de son propre portrait, qui la toisait d'un œil sévère.

     "—Je vous donne jusqu'à la nouvelle lune" annonça-t-elle, la respiration sifflante.

     Le seigneur des Terres du Nord, responsable de la mission, déglutit bruyamment. Elle leur laissait six jours.

     "— Je le veux mort ou vif. Si ma volonté n'est pas accomplie avant la nouvelle lune, vous payerez tous votre incompétence de votre vie !

     — Oui, votre Majesté ! acceptèrent-ils d'une seule voix.

     Elle quitta la salle en trombe, suivie de sa garde rapprochée, abandonnant ses vassaux. Sans courir, la souveraine traversa le couloir en hâte et monta quatre à quatre les marches de l'escalier central jusqu'à sa chambre, tout en haut de la tour principale.

     Une fois arrivée, ses gardes se postèrent aux coins de la porte qu'elle referma violemment. Elle s'approcha de la fenêtre, qu'elle ouvrit brusquement, laissant la pluie frapper son visage et se mêler au goût salé de ses larmes. Petit à petit, elle parvint à retrouver des idées claires. Sa furie se changea en froide détermination et un éclat de cruauté étincella dans ses yeux.

     Elle lui ferait payer la mort de Rosanya.

     Un grincement la fit se retourner et elle regarda Aywin entrer dans la pièce, ses cheveux blonds et sa tunique bleu nuit trempée par la pluie. Ysnera courut vers lui et pressa sa bouche sur la sienne en un baiser plein de douleur et de désespoir. Il le lui rendit avec passion et tous deux reculèrent jusqu'au centre de la pièce. La pluie continuait à entrer à flots, les précieuses tapisseries tendues sur les murs encadrant la fenêtre commençant à se gorger d'eau.

     Ysnera plongea son regard dans celui de son serviteur et celui-ci posa doucement une main sur sa nuque pour faire se rencontrer leurs fronts. Ils restèrent là un moment, puis elle éleva une main qu'elle posa sur sa joue.

     "— J'ai besoin que tu me rendes un service, lui dit-elle.

     — Tout ce que tu désires, répondit-il dans un souffle.

     Elle lui sourit tristement.

     — Suis-les. S'ils ne parviennent pas à tenir leur parole, je veux que tu les élimines. Nous imputerons ce massacre à la Guilde. Prends avec toi autant d'hommes qu'il te semble nécessaire, et reste discret.

     — Entendu, votre Majesté."

     Aywin pressa délicatement ses lèvres contre les siennes, puis sortit.

     Ysnera retourna auprès de la fenêtre. Les yeux clos, elle rencontra de nouveaux ceux de l'assassin, sombres comme une nuit sans lune. Comme un puits sans fond. Il fallait qu'elle le retrouve. Tout ce qu'elle avait bâti, tout ce pour quoi elle avait tant sacrifié risquait tôt ou tard de partir en fumée et cet homme en serait la cause. Elle ne pouvait pas se permettre de le laisser filer ; cette place était la seule qui lui semblait être la sienne. Ysnera ne le laisserait pas faire de ses plus profondes inquiétudes une réalité. Elle ne le laisserait pas réduire son seul espoir à néant.

     Elle le retrouverait, et elle le ferait payer.

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⏰ Dernière mise à jour : Dec 25, 2023 ⏰

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LA LEGENDE DES ENFANTS DE CENDREOù les histoires vivent. Découvrez maintenant