Chapitre I

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Anthéa regardait la mer. Sa mer. D'un bleu turquoise sublime, presque limpide sous les derniers rayons de soleil qui éclairaient le port d'Athènes en ce début de printemps.

Du mont d'où elle était, la jeune Grecque pouvait observer toute la cité, de l'Agora où quelques vieux sages débattaient encore, jusqu'au Parthénon, qui se tenait, toujours aussi majestueux malgré les siècles, au centre de la cité. La lumière rougeâtre qui émanait du soleil se reflétait sur ses fresques peintes, les faisant briller encore plus. Ses yeux perçants ne s'en détachaient pas, admirant avec fierté le bâtiment qui se dressait sur la colline de l'Acropole.

La subtile brise marine, empreinte du parfum des olives, et de toutes les autres marchandises qui se vendaient au port d'Athènes, remonta jusqu'à elle, et elle inspira profondément, appréciant ce moment de paix et de calme. Les cris des pêcheurs et des habitants étaient bien trop lointains pour qu'elle puisse les entendre. Et elle ne s'en plaignait pas.

La princesse qu'elle était n'était pas contre un moment seule, loin de l'agitation de la cité et du palais royal, en effervescence depuis l'annonce de la venue de l'empereur romain et de son fils. Les Romains avaient déserté les côtes grecques depuis de longues années, et ils revenaient désormais, auréolés de gloire après leurs récentes victoires en Hispanie et contre les insurgées en Egypte. Les Egyptiens n'avaient toujours pas accepté la domination romaine, ni la chute de leur dernière souveraine, Cléopâtre VII, aux côtés de son amant Marc-Antoine.

Les Grecs non plus n'acceptaient pas encore leur défaite face au gigantesque empire. A vrai dire, aucune véritable bataille n'avait encore eu lieu entre les deux camps, mais la tension montait peu à peu, et les Romains s'approchaient de plus en plus des frontières grecques. Le vaste empire formé par Alexandre le Grand, qui s'étendait jusqu'aux rives du Gange, n'était plus qu'un lointain souvenir.

Désormais, la Grèce, affaiblie, morcelée en petits royaumes rassemblés autour des plus grandes cités, faisait son possible pour tenir tête à Rome, qui n'avait fait que s'agrandir depuis des siècles et des siècles. La jeune fille, de la même façon que tous les autres Grecs, se sentait prise au piège, comme enfermée dans une cage, dont il n'y avait aucun moyen de s'échapper. Les derniers jours de leur liberté approchaient à grand pas.

Lorsqu'elle détourna le regard de la cité pour le porter vers sa mer bien aimée, elle vit que Rome était bien plus près que de raison. Des navires aux voiles rouge pourpre avaient jeté leur ancre dans les eaux turquoises, leur proue en forme de pointe menaçant l'horizon, leurs ponts remplis de soldats en armure d'or. Une vague de fureur déferla en elle à cette vue. Les Romains croyaient réellement qu'ils étaient les bienvenus...

Certains le pensaient vraiment. Quelques Romains s'étaient même aventurés en Grèce pour leur apprentissage, et de la langue, et de l'art oratoire, qui était un véritable culte pour les Grecs. Y compris Auguste lui-même, qui avait envoyé son fils à Athènes, lorsqu'il avait dix ans. Alexandre y avait appris à parler couramment grec, et toutes les autres choses qui lui seraient nécessaires en tant qu'empereur. Anthéa se souvenait encore de le voir au palais, avec ses maîtres, en pleins exercices de rhétorique. Elle espionnait tellement ses cours que son père avait fini par la faire étudier avec lui. Les deux enfants étaient devenus amis, et même s'il était dorénavant son ennemi, la jeune Grecque gardait un très bon souvenir de cette période.

Elle lui avait même appris quelques mots de macédonien, la langue de feu sa mère. Rien qu'à cette pensée, elle oublia sa rage, le revoyant encore buter sur les mots qui lui étaient étrangers, alors qu'elle parlait déjà cette langue, malgré son jeune âge.

Alexandre était la personne qui comptait le plus aux yeux de l'empereur, et pour cause : c'était son seul fils, qu'il avait eu avec sa troisième femme, Livie. Bien sûr, il n'avait pas pu s'empêcher de le nommer ainsi. Mais, étonnamment, elle trouvait que ce nom lui allait bien. Ou du moins, dans ses souvenirs.

Ils n'étaient que des enfants, à l'époque. Quatre ans plus tard, tout avait changé, et ils étaient ennemis plus que jamais. Parfois, elle aurait aimé vivre pour toujours dans ce temps d'innocence, où tout était pour le mieux, dans le meilleur des mondes. Un sourire nostalgique effleura ses lèvres.

Une brise vint soulever ses cheveux, d'un châtain très clair, et elle rejeta la tête en arrière en fermant les yeux, laissant le vent s'infiltrer dans sa chevelure ondulée. Elle soupira de bonheur. Il lui restait encore quelques minutes de tranquillité avant un brusque retour à la réalité. Pour le moment, elle était libre, au milieu des collines verdoyantes et des fleurs aux couleurs chatoyantes.

Sa jument renâcla soudainement, et Anthéa ouvrit les yeux pour caresser son encolure gris pommelé. Le soleil faisait briller la bague d'argent à son index, illuminant les motifs complexes gravés sur le métal. Elle admira un instant le seul souvenir de sa mère, avec son poignard aux motifs similaires, avant d'attraper les rênes de sa monture et de lui demander de faire demi-tour. Elpida s'exécuta en hennissant, guettant avec attention l'endroit où elle posait ses sabots.

Petit à petit, elle descendit de la colline qui surplombait la mer, puis franchit un petit ruisseau. Au-dessus de sa tête, une chouette hulula, avant de s'envoler brusquement vers les cieux, en dépliant ses majestueuses ailes brunes. Elle eut tout juste le temps d'apercevoir ses prunelles- d'un étonnant jaune mordoré- avant que le volatile ne disparaisse de sa vue. Elle songea un instant qu'il s'agissait de la déesse protectrice qui veillait sur elle, et cette pensée la fit sourire.

Elle pressa légèrement ses mollets contre les flancs de sa jument, et l'animal partit au galop dans les champs, soulevant des nuages de poussière derrière elles. Le vent passa sous son chiton et rencontra sa peau, lui procurant de délicieux frissons.

Au loin, le palais brillait aux pieds de l'Acropole, illuminé par des centaines de torches. Son père, Cléon, avait fait préparer un sublime festin pour les Romains, pour ne pas les froisser dès leur arrivée. Leurs ennemis allaient donc festoyer sous leur propre toit, à la grande rage de la jeune fille. Le temps de l'innocence était terminée, elle n'était plus dupe : la guerre approchait, et elle serait sanglante. Et il leur fallait accueillir leurs ennemis, qui les avaient tant de fois fait souffrir par le passé.

Le banquet prévu pour le soir ne serait que façade, elle l'avait bien compris. Elle serait obligée de jouer le jeu.

Dans le ciel, le soleil avait presque atteint l'horizon. Lorsqu'elle atteignit les murs de la cité, et qu'elle y entra, sa jument repassa au trot pour ne pas bousculer les habitants, qui se massaient encore dans les rues. Elle prit le chemin le plus court jusqu'au palais, d'où s'élevaient déjà des chants et de la musique, en espérant ne pas être trop en retard.

En effet, il n'est jamais bon de faire attendre ses invités...

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⏰ Dernière mise à jour : Dec 28, 2023 ⏰

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