Une belle histoire

- Mamie, c'est qui sur la photo ?

Emy tendit une vielle photo en noir et blanc aux bords un peu cornés, qu'elle venait de trouver dans un livre qu'elle feuilletait. Anna leva les yeux de son ouvrage de couture pour regarder ce que sa petite fille tenait dans les mains.

On pouvait y voir une femme riant aux éclats et un homme derrière qui avait un bras autour de sa taille et qui la regardait tendrement. Un fin sourire étira les lèvres de la vielle dame et elle se pencha vers sa petite fille qui s'était assise à côté d'elle, comme pour lui confier un secret.

- Vois-tu ma chérie, c'est ton grand-père et moi sur la photo.

Emy écarquilla ses grands yeux verts de surprise et passa doucement un doigt sur le visage si joyeux de sa grand-mère.

- Tu étais tellement belle, souffla-t-elle presque impressionnée devant cette femme si jeune qui avait l'air de venir d'un autre temps.

- Merci ma Emy, répondit Anna amusée.

- Pourquoi est-ce que tu riais ?

- Parce que j'étais heureuse, ton grand-père venait de me demander en mariage.

A ces mots, Emy eut un sourire jusqu'aux oreilles en imaginant sa grand-mère en robe blanche de princesse.

- Mais tu sais avant ça, il s'est passé beaucoup de chose, commença Anna en déroulant les fils de ses souvenir qui étaient soigneusement tissés entre eux au fond de sa mémoire.

*****

Octobre 1953.

Le nez plongé dans son livre favori, Anna slalomait entre les étudiants du couloir de l'université tant bien que mal en essayant de n'en faire tomber aucun, mais elle ne vit pas le jeune homme en face d'elle et le bouscula de plein fouet.

- Je...pardon, s'excusa-t-elle précipitamment en se baissant pour reprendre son livre. Mais à peine eut-elle le temps de se pencher que le garçon l'avait déjà ramassé et le lui tendait.

- Je m'appelle Antoine, lui dit-il en souriant et Anna ne put s'empêcher de remarquer qu'il avait une fossette qui apparaissait sur sa joue quand ses lèvres s'étiraient.

- Moi c'est Anna et pourriez-vous, je vous prie, me rendre mon livre ? Elle avait beau tirer sur l'ouvrage, il refusait de le lâcher.

- Pourquoi diantre lisez-vous une des histoires d'amour les plus dramatique de la littérature ? Lui demanda-t-il avant de finir par lui rendre son exemplaire des Hauts de Hurlevent.

Anna aurait pu partir à cet instant, ayant récupéré son livre, mais elle ne le fit pas. Ce garçon à la fossette et aux yeux rieurs, presque moqueurs, l'intriguait plus qu'elle ne voulait se l'avouer.

- Parce que je trouve que les histoires qui finissent mal sont souvent les plus belles, répondit-elle passionnément en serrant son livre contre sa poitrine comme pour la protéger de ce que le jeune homme qui lui faisait face pourrait dire.

- Je ne suis pas d'accord, ce n'est pas la fin qui fait la beauté de l'histoire, c'est aussi tout ce qui se passe avant. Une histoire d'amour ne se résume pas à comment elle finit.

Anna ne rétorqua rien et Antoine crut qu'il avait gagné ce débat improvisé. Il apprendra plus tard que la jeune fille voulait toujours avoir le dernier mot.

- Je vous souhaite une belle histoire d'amour et qui finit bien, continua-t-il.

Anna plongea son regard dans celui d'Antoine et sans le lâcher des yeux, déclara :

- Alors, écrivez-la moi cette belle histoire, puisque vous semblez si sûr de vous.

- Très bien, mais je vais avoir besoin de votre aide.