Klara
J'ai toujours aimé observer le va et viens des touristes. Ces familles, ces couples, ces amis. Rares sont ceux qui restent pour l'intégralité de la saison hivernale. La plupart ne sont là que pour une semaine, deux tout au plus. Certains reviendront aux prochaines vacances scolaires. D'autres l'année prochaine. D'autre reviendront en été, pour découvrir un autre aspect de la montagne, émerveillés par tous ces reliefs et tous ces espaces sauvages, auxquels ils ne sont pas habitués dans leurs villes surpeuplées.
Certains ne reviendront jamais.
Il est connu parmi les habitants permanents de ces régions touristiques qu'il ne faut jamais s'attacher aux touristes, ni aux saisonniers. Ils viennent, prennent du bon temps hors du temps, et repartent. Ils repartent toujours.
Je jette un coup d'œil à mon téléphone, à la recherche d'un message qui ne viendra probablement jamais. Je soupire devant le ridicule de la situation. Il est parti il y a déjà quatre mois. Il n'y a aucune raison pour qu'il m'envoie le moindre signe de vie.
Je reporte mon regard sur la rue. Assise sur mon balcon, une cigarette éteinte entre les lèvres, enroulée dans mon plaid. Le paysage face à moi plaît aux touristes. Les pics enneigés qui se perdent dans les nuages me feront toujours le même effet. Même après deux ans à vivre ici, à voir le même flanc de montagne tous les matins quand je me lève, je ne m'en lasse pas. Rien ne me ferait regretter ma décision de venir m'installer ici à l'année.
Deux jeunes passent au pied de ma résidence. Sûrement des lycéens. Ils rient fort. Couverts de la tête aux pieds, avec des vêtements inadaptés. Il n'y a aucun doute, des touristes. Personne ici ne mettrait une doudoune si peu chaude.
L'écran de mon ordinateur, posé sur mes genoux, s'assombrit. La page blanche me fait de l'œil. Je n'ai pas écrit un mot. Il faut que j'écrive, il faut que j'écrive, il faut que j'écrive. Mais que pourrais je écrire quand rien ne me vient ?
Si je ne parviens pas à écrire ne serait-ce que l'idée d'un livre, ma maison d'édition finira par me lâcher. Ils ont beau être patients, je sais que chaque jour qui passe est un jour de plus vers la fin de notre collaboration.
Foutu syndrome de la page blanche.
Il y a quelques années, je n'aurais jamais cru en être atteinte. J'avais toujours une idée, toujours une ligne à écrire, toujours une pensée à coucher sur le papier. Mais aujourd'hui, je n'ai plus rien. Pas un mot ne me vient. Je suis là, sur mon balcon, dans le froid glacial d'une station de ski, à regarder les passants défiler en espérant que l'un d'entre eux dise ou fasse quelque chose qui me donne soudainement une idée, qui réveille ma créativité perdue.
Pas une phrase. Pas un mot. Pas une lettre.
Avec un peu de chance, un couple se disputera sous ma fenêtre, me poussant à imaginer ce qu'il a bien pu se passer pour qu'ils en viennent à se crier dessus au beau milieu de la rue. Peut-être que ça m'inspirerait une romance, qui m'aiderait à repartir après le succès de ma première et unique fantaisie.
Mais il semblerait que tout le monde soit heureux ces derniers temps. L'effet des vacances à la montagne, que voulez-vous. Les problèmes sont tous restés à la maison.
Mon téléphone vibre sur la table.
Sans aucune dignité, je me jette dessus, comme chaque fois qu'un message arrive. Mais ce n'est pas lui. C'est simplement ma collègue à l'office de tourisme qui me demande si finalement je peux travailler cet après-midi, celle qui devait me remplacer a eu un problème avec sa voiture. Ce devait être mon jour de repos.
Je ferme mon ordinateur en soupirant. Je range ma cigarette dans mon paquet à peine entamé. Tant pis, peut-être que j'arriverais à écrire plus tard.
Ou peut-être pas. Qui sait si je serais capable d'écrire à nouveau unjour ?
