Janvier -Le chant de la Gargouille Ivre-

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Comme tu me plairais, ô nuit ! sans ces étoiles

Dont la lumière parle un langage connu !

Car je cherche le vide, et le noir et le nu ! "

Pourtant, il faisait déjà nuit sur la ville. Une nuit lumineuse, que l'obscurité ne parvenait pas à envelopper, comme repoussée par un millier d'étoiles artificielles qui flottaient à hauteur d'arbres. C'était moins une nuit qu'un faux jour, un jour sans ciel, qu'une absence d'étoile surmontait l'air de rien. Il n'était pas vraiment tard, mais déjà, balayées par le froid de l'hiver bien établi, les rues se vidaient doucement. Il avait neigé la veille, mais à peine tombé, tout avait déjà été avalé par la gloutonne métropole. Il faisait froid, pourtant, à l'extérieur des foyers silencieux. Sûrement pourrait-on accuser frère Soleil d'avoir trop tôt déserté sa place au firmament, d'être parti se réfugier au-dessus d'un ailleurs plus clément. Mais qui l'en blâmerait ? Il y a tant de vues plus belles, de l'autre côté du monde, que celle de cette arrogante, étendant, orgueilleuse, ses tranchées tentaculaires sur ce qui fut plaine, sur ce qui se réclame encore colline. A force de tourner d'un bout à l'autre du firmament, une nouvelle année s'était achevée, et il fallait, péniblement, en commencer une nouvelle. C'était cette période, où, alors que l'hiver refuserait de partir pour encore trop de temps, chacun arrivait à cours des festivités données pour oublier le froid. Ce moment duquel s'écarte inexorablement le temps de la chaleur des repas de fêtes, pour ne laisser qu'une solitude glacial, ne se couvrant, pour se réconforter, que de son beau manteau blanc. Mais il n'y avait pas de neige, et le gris de la ville semblait se faire une fierté d'apparaître plus sombre que jamais, d'être trop repoussant pour que les beaux flocons ne l'approchent. C'était un mois de Janvier, et il faisait triste. Il faisait lourd sur les cœurs. C'était un mois sans excitation, qui constatait déjà l'abandon des belles promesses de l'année précédente. C'était un mois sans vie, sans force, sans âme. Il n'y avait rien de bon à dire, rien de précieux à entendre. Il ne fallait qu'attendre, que quelque chose de perdu soit retrouvé, que quelque chose d'interrompu puisse reprendre. Il fallait attendre, en voir la fin, car aucune belle histoire ne peut décemment commencer en Janvier.

Et lui, l'air absorbé par le silence, l'air froid lui mordant les joues, marchait d'un pas décidé le long du Boulevard des Lucioles. Sa silhouette se découpait nette dans la relative obscurité de cette soirée hivernale. Il n'était pas particulièrement grand, ni particulièrement petit d'ailleurs. Ce n'était pas par sa stature (il était peut-être légèrement plus imposant que d'autres, quelle importance ?) qu'il se dégageait de la masse des uns. Il était d'ailleurs difficile de mettre le doigt sur ce qui le faisait ressortir, sur ce rien qui faisait que parmi tous, c'était lui qu'il fallait suivre, son histoire qu'il fallait écouter. Son visage était plutôt bien fait, et il n'était en général pas désagréable à regarder. Il marchait sur la ligne ténue, souvent indiscernable, qui sépare le beau de l'ordinaire. Il y avait dans sa démarche, dans la vigueur et la résolution qu'il plaçait dans chacun de ses pas, quelque chose d'à la fois surprenamment envoûtant et absolument dénué du moindre semblant d'intérêt. Il se comportait, alors qu'il arpentait cet habité labyrinthe qui s'étendait autour de lui, avec une étrange inconstance. Tantôt il attendait sagement que la lueur verte ne lui accorde la permission avant de traverser une ruelle déserte, et l'instant qui suivait il manquait de se faire renverser par un bus, pour s'être élancé sur la route sans un regard comme un Moïse sans dieu sur la Mer rouge. Cela faisait déjà plus d'une demi-heure qu'il marchait, ne portant sur le dos qu'une légère veste d'un rouge pâle très élégant, par dessus une chemise d'un noir profond, sans motif apparent. À sa posture, à son inconfort mal dissimulé, il laissait deviner qu'il n'avait pas l'habitude de ce genre d'accoutrement sophistiqué, et pourtant, il était comme fier. C'était une fierté naïve, celle d'un enfant en uniforme, d'un chaton quittant pour la première fois son panier, une fierté maladroite, mal placée peut-être, qui eut prêté à rire, s'il ne l'avait arboré avec une telle assurance. Une assurance qui lui donnait un genre insolent, presque provocateur. La lumière fluctuante des lampadaires dévoilait, par intermittences, ses yeux. Ils étaient d'un vert sombre, terne, qui donnait à son regard une profondeur grave, et reflétaient le mouvement redondant de la rue qui se déroulait devant eux. Et au tournant d'une rue sans importance, ils auraient pu croiser une autre paire d'yeux.

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⏰ Dernière mise à jour : Oct 26 ⏰

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Les pérégrinations d'un mouchoir en papierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant