1. L'étrangère

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Leon

Je ne sais pas ce qu'il m'a pris.
Je tire une latte sur ma cigarette, laissant la fumée brûler mes poumons avant de la recracher dans l'air frais de la nuit.
Accoudé à la balustrade, le regard perdu sur le paysage de Manhattan.
« Tu sais que tu es un enfoiré, Leon. »
Oui je sais. Pas la peine de me le rappeler.
Quand j'ai vu cette fille, dans la ruelle, entre les mains d'une de ses enflures, je n'ai pas pu m'en empêcher. Je ne sais pas... Je pense que pendant l'instant d'une seconde, j'ai eu un peu de moralité. Un peu de pitié.
Ou peut être savais je déjà qu'il s'agissait de la même fille qui avait assisté à la fusillade.
Non. Pure hasard évidemment.
« C'est une sacrée connerie ce que tu viens de faire. Tu va tout faire capoter.
Fais moi confiance un peu, je sais ce que je fais. » Je réponds sèchement.
Je vois bien qu'Achille n'est pas d'accord avec moi.
Ramener une femme ici, étrangère au réseau, c'est de la pure folie.
Témoin ou pas témoin, les principes de la Mafia voudraient qu'elle soit déjà six pieds sous terre. Et Achille adore les principes de la Mafia.

« Putain, Leon ! Tu délire ! Fais lui cracher ses infos dès qu'elle se réveille et plombe la. On va pas perdre notre temps avec des pacotilles pareilles.
Qu'est ce qu'il te prend ? »
Je souffle d'agacement. Achille a beau être mon ami le plus fidèle depuis des années, il y a des moments ou son impulsivité et son arrogance m'irritent au plus haut point.
« A ce que je sache, c'est moi qui prend les décisions ici, non ?
J'aperçois son visage se tordre de frustration.
Tu est juste mon bras droit, tu es censé me conseiller et obéir à mes ordres, pas les remettre en question.
- Je suis aussi ton ami, répond il sèchement, et je suis persuadé que tu va juste tous nous foutre dans la merde. »

J'écrase ma cigarette contre la balustrade et me retourne, prêt à rentrer à l'intérieur du manoir, avant qu'il ne me bloque le passage.

« Achille. Je ne me répéterai pas. »
Mon ton est glacial, comme la température qui nous entoure, et je le contourne pour enfin me réfugier à l'intérieur.
Achille marmonne quelque chose en retour, que je suis incapable de comprendre et me contente de l'ignorer.

Cela doit faire pratiquement deux jours que l'étrangère dort dans sa suite.
Tout est sous surveillance, et verrouillé, évidemment. Je sais encore ce que je fais.
Je soupire, frottant mon visage et prenant une gorgée de café.
Qu'est ce que c'est amer.
Les caméras glissent lentement de droite à gauche de la chambre, analysant les moindres sons et les moindres mouvements. Elle n'a toujours pas bougé, pas d'un millimètre. Je ne sais pas si elle a des blessures internes, et je n'ai demandé l'avis d'aucun médecin. Mais elle semble respirer, ce qui, pour être honnête, me rassure vraiment.

Je regarde l'heure, 2:09, et soupire. Ça va bientôt faire trois heures que je suis là, à attendre et fixer les caméras comme un imbécile ou un gardien de prison, sans aucun changement apparent. Je n'ai rien d'autre à faire pour le moment, et je ne veux pas me contenter de dormir quand j'ai autre chose de vraiment intéressant qui m'occupe l'esprit.
Enfin, surveiller une personne inconsciente n'a rien de très intéressant, mais je suppose que c'est le fait de rester éveillé qui me soulage.
Je glisse mes doigts sur les feuilles d'un des nombreux dossiers étalés sur mon bureau, et le feuillette.
Cette fille a vu des choses, ce soir là, quand les membres de L'Espinosa ont été prit en embuscade par mes hommes. Je pensais m'être assuré qu'il n'y aurait aucun témoin, mais apparemment je n'ai pas été assez prudent.
Achille me l'aura assez répété.
Je ne sais pas exactement à partir de quel moment elle a pu soutirer des informations intéressantes, mais ce qui est sur c'est que ce qu'elle sait n'est visible dans aucun de nos dossiers.
C'est donc forcément quelque chose qui nous échappe, et dont on a véritablement besoin.

« Monsieur Silvereye ? J'entends murmurer d'une voix tremblante derrière moi.
Ça, je sais déjà que ça n'annonce rien de bon.
Le Serpent vous a envoyé un colis. Et monsieur Dekenios insiste pour que vous veniez l'ouvrir. »

****

« Putain d'enfoiré, Leon, je t'avais dit que tu nous foutrais tous dans la merde ! »

J'aurai dû m'en douter.
Évidemment qu'un « colis » provenant du Serpent ne pouvait rien prévoir de bon. Surtout après qu'ils aient appris que j'avais descendu, en personne, l'un de leur hommes les plus importants.

« Calme toi Achille, ça n'a rien à voir avec la fille.
- Rien à voir avec la fille, tu en es sur ?! Pourtant c'est la putain de tête de Marco qui est bâillonné dans cette boite ! Et je ne pense pas que le Serpent prendrait le risque de buter ton fournisseur si il n'avait aucune véritable raison de le faire !
- J'ai tué un de leur larbin, alors évidemment qu'ils poursuivent les provocations. »

Achille me dévisage, confus.
Je ne lui en ai pas encore parlé, de ce petit détail.
Pour l'instant, il pense que j'ai trouvé l'étrangère seule dans une ruelle, et que je suis arrivé après le passage des hommes de L'Espinosa.
La vérité, c'est que j'ai plombé cet enfoiré au moment où il s'apprêtait à passer à l'acte.
Il l'avait déjà bien amochée, la pauvre. Mais je ne lui ai pas laissé le temps d'en profiter plus longtemps.
Je n'aurai pas imaginer la difficulté de faire parler une fille victime d'une récente agression sexuelle. L'enfer.

« Attends, quoi ? Quel larbin ? Leon... Bordel... Qu'est ce que tu as encore foutu ?!
- J'ai descendu un de leur espions, dans la ruelle. Il était en train d'agresser la fille, alors je me suis débarrassé de lui et l'ai récupéré au passage.
- Sans déconner ?!
- Sans déconner. »

Je sens les poings d'Achille se serrer de colère alors qu'il soupire bruyamment, le regard gelé sur la boîte contenant la tête de notre fournisseur d'arme.
Je sais bien qu'il a envie de me frapper et de m'insulter de tous les noms, là maintenant. Je comprendrais qu'il le fasse. Mais il ne se rend pas compte à quel point ce qui se cache dans l'esprit de cette femme est précieux. Cela pourrait complètement changer la tournure des événements, de cette foutue guerre qui dure depuis des années déjà.
Je sais très bien ce que je fais. Je ne suis pas l'idiot que j'étais avant.
Je ferais tout ce qui est nécessaire pour y parvenir, cette fois.

« Donc ils ne savent pas ? Pour la fille ? Marmonne t'il en refermant la boite en carton.
- Non. Il n'y a aucun moyen qu'ils le sachent. Personne ne m'a vu. »

Je le vois hocher la tête lentement, un peu rassuré de savoir que cet assassinat est un malheureux événement, mais un simple malentendu qui ne bouscule en rien nos plans.

Comme j'ai hâte de voir le visage qu'il fera quand il se rendra compte que j'ai raison.

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 17 ⏰

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