Prologue

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             Tapis dans l'ombre, une créature dissimulée observait la colonne d'humains avancer en formation dans la forêt de Galika. Elle avait pourtant l'habitude de scruter les mouvements humains dans cette région qu'elle connaissait comme son domaine. Effectivement, elle résidait dans cette forêt obscure, parmi les arbres aux formes tordues, dont les branches pendaient vers le sol comme des lamentations, attirées par une force invisible. Elle partageait ce lieu depuis plus de trois siècles avec sa tribu. Cependant, c'était la première fois qu'elle voyait une telle procession. La colonne, constituée de nombreux soldats et de cavaliers, avançait la tête haute, arrogante, comme si le monde entier leur appartenait. La créature pouvait discerner la détermination des guerriers, mais elle percevait également la peur émanant de certains d'entre eux : des hommes qui n'avaient rien à faire sur un champ de bataille, des fermiers, boulangers, forgerons, et d'autres citoyens enrôlés de force par les caprices d'un seul homme.

L'envie d'utiliser le fluide pour explorer plus en profondeur les esprits des soldats lui traversa l'esprit, mais elle se ravisa rapidement. Si des mages ou des ensorceleurs étaient présents, ils pourraient déceler sa présence. L'idée d'avoir une telle horde d'hommes à ses trousses lui déplaisait fortement. Ce qui la surprenait toujours, c'était la rareté du fluide parmi les humains. Seuls quelques-uns en étaient dotés, élevant ces élus à un statut respecté. Les utilisations du fluide étaient nombreuses, et même le druide de sa tribu n'en connaissait pas l'étendue complète. Néanmoins, elle savait que le fluide était puissant, capable de guérir des maladies, de s'immiscer dans le subconscient, mais aussi dangereux pour son utilisateur.

Perdue dans ses pensées, elle ne remarqua pas tout de suite l'arrêt de la colonne de soldats. Ce ne fut que lorsque le cavalier remonta vers la tête de la file et s'agenouilla devant un homme en armure qu'elle reprit conscience de la scène. Cet homme, vêtu d'une armure aux teintes argentées et dorées, dégageait une prestance rare pour un humain. La créature se demanda s'il ne possédait pas du sang d'Elfes d'Argent dans ses veines.

Soudain, elle ressentit la puissance du fluide émanant de lui, la paralysant. Incapable de bouger ou de penser, elle fusionna avec les pensées de l'homme puis avec celles de tous les soldats de la colonne. Une force inouïe, faisant craquer les branches des arbres qui semblaient réagir à cette intrusion. Comment avait-elle pu négliger une telle puissance jusqu'à présent ?

Puis, la présence s'estompa lentement, laissant place à une aura persistante autour de l'homme en armure. Celui-ci se tourna vers la forêt, la scrutant, puis revint son attention vers ses hommes.

« Soldats ! Mages ! Hommes voués au service du Bien ! Nous voici, face à l'antre du mal, où réside la quintessence même de la malice et des maléfices du monde. Mais que nul ne se laisse envahir par la crainte ! Vous êtes les gardiens de la vertu, les défenseurs de la lumière, et rien, rien au monde ne peut entraver votre destin ! Aujourd'hui, c'est un jour saint, un jour où notre croisade atteindra son apogée, que ce soit par la victoire glorieuse ou par la mort héroïque !

Sachez ceci, mes compagnons d'armes, cette journée sera gravée dans l'éternité, dans les annales des héros. Les conteurs à venir répéteront inlassablement la légende de votre bravoure, soldats du Bien ! Quoi qu'il se cache derrière ce portail, je vous implore de demeurer impassibles et inaltérables, car nous triompherons ! J'en ai la certitude, une certitude gravée dans l'acier de nos cœurs et la flamme de notre détermination ! Que résonne notre cri de guerre, que vibre l'écho de notre résolution ! En avant, vers la destinée qui nous attend de l'autre côté, car aujourd'hui, nous écrivons l'histoire du Monde ! »

Après un court instant, de nombreuses voix s'élevèrent des rangs de soldats, des acclamations et des louanges se mêlèrent, formant une seule voix, forte et puissante. Le sol et les arbres en tremblèrent. La créature n'en croyait pas ses yeux. Puis, d'un geste de la main de l'homme en armure d'argent et d'or, toutes les voix se turent, redonnant à la forêt son apparence calme et mystérieuse d'auparavant.

« Mes hommes sont courageux, un seul discours avec une démonstration de mon fluide les a motivés, mais ce qui se cache ici est à l'origine du mal. Une fois le portail ouvert, on ne pourra plus faire marche arrière, et j'ai bien peur que nous ne soyons pas assez nombreux... » se dit le Roi Axarii pour lui-même, se plongeant dans une réflexion profonde tandis que la forêt murmurait son propre mystère.

Après un court instant, le roi descendit de sa monture et s'avança au milieu des arbres qui formaient comme un cercle autour de lui. Alors, il prit une profonde inspiration, levant ses paumes vers le ciel, entamant une psalmodie dans une langue étrange, une symphonie mystérieuse inaudible pour la créature, mais dont l'écho résonnait avec l'environnement qui semblait comprendre ces paroles. Les arbres, tels des témoins silencieux, commencèrent à s'animer, les feuilles tombèrent d'une manière étrange, l'eau des flaques s'éleva vers le ciel, puis une lumière aveuglante surgit des mains de l'homme, illuminant toute la forêt. Au milieu des arbres, surgit des ténèbres un portail sombre, encore plus sombre que les entrailles de la Terre. Il en émanait une froideur et une aura des plus inquiétante. Soudain, des veines rouge sang apparurent dans les fissures de celui-ci pour former une porte de la même couleur menant vers cet autre monde. La créature n'appréciait guère cela ; le portail ne lui inspirait pas confiance, et l'aura qui s'en dégageait la fit frissonner. Elle remarqua qu'elle n'était pas la seule : la plupart des chevaux des soldats hennissaient et se débattaient dans tous les sens, leurs yeux exprimant une peur, celle de mourir.

Le roi, imperturbable, remonta en selle et ordonna à ses troupes de le suivre. Montrant une magnifique maîtrise de l'art du combat, les soldats se remirent en formation et commencèrent la marche vers le portail. Plus ils se rapprochaient, plus la créature ressentait de la confusion au sein des troupes. Néanmoins, le discours avait fait son effet, car ils demeurèrent tous impassibles. Un chant s'éleva des rangs des hommes, bien que celui-ci fût dans une langue différente de celle parlée habituellement par les hommes. La créature en comprit quelques vers :

Ô lumière Divine,

Guide-nous sur le chemin du Bien,

Amène-nous sur la colline,

Et apporte-nous ton soutien.

Les dernières paroles furent emportées avec les derniers hommes dans le portail. Celui-ci flamboya encore un moment, comme s'il attendait une présence supplémentaire, avant de se refermer brusquement, laissant derrière lui un amas de ruines en pierre. La forêt retrouva son calme, comme si rien ne s'était produit. La créature attendit toute la journée pour voir si quelque chose se passait, mais en vain. Elle revint le lendemain, et tous les jours de la semaine, mais ces semaines se transformèrent en mois puis en années, et rien ne se produisit. L'armée avait disparu dans ce portail, à jamais...

Les Voies Cachées : Dans l'Ombre du PortailOù les histoires vivent. Découvrez maintenant