Partie II

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Les berges du Nil luisaient au soleil couchant. La lumière se reflétait sur l'eau, nimbant les roseaux qui se balançaient doucement au gré de la brise d'un éclat d'or.

Telle était la beauté que Hadrien désirait offrir à son concubin, la seule qui pouvait presque égaler la sienne.

La promenade se fit au rythme des rires et des discussions douces. Rien ne semblait pouvoir troubler la quiétude de l'instant. La brise accompagnait de ses plus belles harmonies les palabres des deux amants attendris.

Mais le bonheur ne pouvait pas durer éternellement. Un messager arriva, accompagné d'un garde, qui, à bout de souffle, exécuta un salut hypocrite à Antinoüs, et délivra un message à l'empereur.

Celui-ci le découvrit avec circonspection, puis abandonna là Antinoüs. Il se dépêchait de toute sa masse de rentrer dans la tente — elle était plantée au bord du Nil, faisant profiter à la compagnie de l'empereur d'un délicieux paysage — et de régler le problème en urgence.

Antinoüs le rejoignit en quelques pas, puis marcha à sa hauteur alors que l'empereur gras peinait à la tâche.
Ce dernier jeta un regard envieux à la jeunesse et au corps superbe de son amant, puis cessa tout à coup, lui prit la main et lui annonça :

— Tu ne dois plus sortir. Dès lors que tu seras en sécurité, tu ne bougeras plus. Nous iront quérir un garde pour te mander quand le danger sera écarté. Nous seront alors ravis de jouir de ta présence.

Et il partit, laissant seul un Antinoüs désemparé, qui regardait l'empereur repartir avec un effroi au cœur — comme un pressentiment — qui ne le laissait point en paix.

○○○

Il se rendit à la ville, accompagné du garde. Là, il se mêla à la foule de la place publique, dégustant les odeurs, sentant les parfums salés des galettes qui cuisaient, virevoltant avec joie à travers la populace qui dansait en cadence le rythme de la foule qui vit la nuit.

Des feux commençaient à poindre un peu partout, et Antinoüs se glissa sur une place libre, écoutant les discussions, riant de concert quand il le fallait, même s'il ne comprenait pas un traître mot de cette langue étrange. L'ambiance lui rappelait les veillées familiales et campagnardes de sa Bithynie natale.

Une bonne partie de la nuit s'écoula ainsi, entre chants, danses, prières et rires. Il mangea bien, goûtant à tout, provoquant parfois l'hilarité générale quand un plat n'était pas à son goût.

Enfin, un garde impérial vint trouver Antinoüs et, l'arrachant à son groupe de veilleurs, le ramena vers les tentes de l'empereur.

Il l'introduisit dans la partie du camp échue aux serviteurs aux esclaves, puis sortit et le laissa seul.

Quelques minutes plus tard, un autre garde, sans glaive et bouclier cette fois-ci, vint le quérir. Arrivés devant Hadrien, il lança un Avé puis s'en fut, laissant les deux hommes seuls.

Antinoüs se rendit au pied du siège de l'empereur, et s'assit, la tête posée sur les genoux de son aîné. Ce dernier se mit à caresser pensivement ses cheveux d'or.

Le passait paresseusement, et la lune commençait à décliner. Enfin, Hadrien prit la parole.

— Un crocodile, souffla-t-il, le plus immense que tu aies jamais vu. Un monstre. Neuf hommes sont morts. Les gardes ont voulu nous mettre en sécurité, mais nous avons résisté. Un empereur se doit d'affronter le danger avec ses légionnaires, avons-nous dit.

Antinoüs, que l'insouciance de la jeunesse grisait, se permit de l'assaillir de question. Tant bien que mal, Hadrien lui répondit. Et, par de si belle manipulation, Antinoüs put obtenir d'aller chasser lui-même le crocodile, seul. Presque seul. Avec Hadrien et son "Nous". Qu'espérait-il lui prouver ? Qu'il était mieux que Sabine ? Sans nul doute. Peut-être aussi un espoir de se distinguer autre que pour sa beauté et son esprit. Prouver à Hadrien qu'il était digne d'être aimé de l'immense empereur.

Prouver...


La Mort D'AntinoüsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant