Interlude

11 1 0
                                    

IX– Interlude


La planète Inmedias, l'épicentre de la communication interstellaire et des médias, était toujours en mouvement. Les équipes de tournage et autres présentateurs s'activaient 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 pour faire en sorte que tout le monde fût diverti en continu partout dans la galaxie. Bien que l'attrait envers la télévision et autres radios avait complètement périclité avec l'avènement des réseaux sociaux, une petite planète s'était adaptée tout en résistant à l'ennemi, pour pouvoir travailler main dans la main avec la nouveauté sans que celle-ci ne la dévore.


Mais ce jour là, la planète était en effervescence pour une toute autre raison. La présentatrice phare et influenceuse Eonis allait recevoir, pour une interview absolument exclusive, le – tristement– célèbre Destructeur de Mondes.

C'était la première fois depuis des siècles qu'il acceptait de se dévoiler face aux caméras, et même si le cachet monstrueux proposé par la corporation d'Inmedias devait y être pour quelque chose, plusieurs personnes pensaient également que c'était une bonne façon pour lui de faire la promotion de ses 'services', ou de permettre de s'exprimer sur son 'métier' que de nombreuses personnes voyaient comme une série de cruelles exactions.


Le plateau télé fut installé, et lorsque le Destructeur de Mondes arriva, tout était prêt pour commencer directement l'interview. D'habitude, Eonis diffusait également l'interview en live exclusif sur ses réseaux, mais il avait été clair lorsqu'il avait accepté l'interview : pas de direct, simplement des caméras « à l'ancienne, comme chez moi. » avait-il ajouté par téléphone avant de raccrocher au nez du manager d'Eonis.


Après avoir échauffé sa voix, Eonis lança les hostilités en faisant son show, remerciant ses spectateurs comme si des gens étaient en train de la regarder en direct, et annonça l'arrivée du Destructeur de Mondes. Après quelques effets sonores et visuels kitsch, le Destructeur de Mondes fit son entrée sur le plateau d'une démarche rapide et assurée, puis vint s'asseoir en face d'Eonis pour commencer l'interview.


- « Bonjour, commença Eonis. Je voudrais tout d'abord vous remercier d'avoir accepté cette interview, je suis honorée de...


- Passons les formalités, voulez-vous ? Demanda le Destructeur de Mondes d'une voix sèche et grave, sur un ton qui relevait plus de l'ordre que de la demande.


- T-très bien... répondit Eonis, désarçonnée par le manque de civilité du personnage. »


Il fallait admettre qu'en regardant le Destructeur de Mondes, le mot 'civil' ne serait pas venu à l'esprit d'une personne un tant soit peu sensée. Il était grand, et portait une épaisse cape sombre qui couvrait la majorité de son corps et de son visage. On pouvait cependant distinguer ses deux yeux pâles, qui dévoraient Eonis du regard, comme un félin en embuscade, tapi dans l'obscurité, prêt à bondir sur sa proie.


- « Beaucoup de rumeurs prétendent que vous êtes originaire de la Terre, reprit-elle. Ces rumeurs sont-elles vraies ? Et si c'était vraiment le cas, avant de devenir un Sans-Nom, quel était votre patronyme ?


- Je doute fort que ces questions intéressent qui que ce soit, répondit le Destructeur de Mondes en serrant les poings, visiblement agacé. Ce sont des questions archaïques qui sont complètement sans importance aux yeux de votre audience actuelle.


- Pouvez-vous nous en dire plus sur vos méthodes de... de travail ? Continua Eonis, tentant tant bien que mal de rester professionnelle face à un tel rustre.


- Tout dépend de la façon dont mes employeurs souhaitent que je traite le 'problème', dit-il. Bien que, dans la plupart des cas, je n'ai pas de consignes particulières. Cela ne me dérange pas de me salir les mains, c'est même la partie la plus amusante du métier... Quand vous soulevez la dernière créature vivante que vous avez gardée pour la fin de votre tâche et que vous la tranchez en deux, que de sensations ! La félicité du travail bien fait, l'odeur du sang frais qui tache mes mains, ça me donnerait presque envie de repartir en mission directement ! Vociféra-t-il dans un rire étouffé par sa longue cape.


- Je... passons à la prochaine...


- Mais il est vrai, reprit-il en interrompant Eonis, qu'être soumis à des contraintes peut parfois être amusant. Il y a quelques siècles, mon employeur m'avait assigné la tâche de détruire une planète en déréglant son écosystème avec un Cancer des Mondes. 'Sacré engin, mais l'introduire sur la planète n'a pas été plus difficile que d'égorger un Mangerêve juvénile. La vague de froid a tué tout le monde – enfin presque – mon employeur m'a recontacté, même après toutes ses décennies, en me disant qu'une âme y vivait toujours, autant dire qu'en y repassant, elle ne fera pas... long feu.


- Et quelles sont vos prochaines... prochains 'objectifs' ? Demanda Eonis, émue par tant d'apathie et de cruauté à l'encontre d'autres espèces vivantes.


- Je ne peux révéler mes prochaines cibles, une simple clause de confidentialité que je passe avec chaque client, dit le Destructeur de Mondes. Et quand je chasse pour le plaisir...


- Vous le faites également par pur plaisir !? Répéta Eonis, interloquée par son invité, qui lui semblait de plus en plus inhumain.


- Evidemment. Il n'y a rien de plus beau que de pouvoir mêler son travail et son passe-temps, n'est-ce pas ? Bref, quand je chasse pour le plaisir, je ne pourrais même pas dire moi-même à qui je pourrais m'attaquer, je pourrais choisir une ville, une nation, ou même une planète... ou simplement viser une petite cible pour le plaisir de chasser une proie perdue d'avance, comme votre ridicule station, par exemple. »



C'était la goutte de trop pour Eonis, elle ne savait même plus s'il avait accepté pour l'argent ou pour le plaisir de l'humilier devant les caméras.


- « C'est assez ! Dit-elle en invoquant tout son courage. Partez de cette station et n'y revenez pas si vous ne souhaitez pas vous retrouver, vous et votre abominable business, boycotté aux quatre coins du cosmos !


- Quel dommage, répondit-il. J'aurais adoré vous faire ravaler votre fierté, ainsi que vos organes, mais je suis malheureusement contraint par le temps. Soyez assurée que, lorsque l'un de mes clients souhaitera voir votre petit îlot coincé dans le passé sombrer, je ferai de votre cas ma priorité. »


Sur ces mots, et après une légère inclination en guise d'adieux, le Destructeur de Mondes tourna les talons hâtivement et s'empressa de rejoindre la sortie.


Une fois qu'il fut parti, Eonis monta dans la cabine de tournage et s'empressa de détruire les enregistrements, en estimant que de telles paroles ne pouvaient et ne devaient pas être répandues partout dans l'Univers.


A suivre dans la prochaine nouvelle...






La Rose NébuleuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant