Prologue

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Léonore

Je me réveille en sursaut. Essoufflée, le cœur au bord des lèvres, mes yeux tentent de s'acclimater à la faible luminosité. La douceur des couvertures me rassure : ce n'était qu'un cauchemar. Pourtant, mon corps tremble : les images sont encore présentes. Le navire sombrait, mon lit flottait au milieu de ma cabine. J'avais beau me débattre contre des ronces, il m'était impossible de fuir avant que la mer ne m'engloutisse toute entière.

Avec la manche de ma robe, j'essuie la fine pellicule de sueur qui recouvre mon front. Un frisson glacial parcourt mon corps encore engourdi, mon ventre se noue, ma bouche sèche réclame de l'eau. Je me lève, bois et accueille la première gorgée avec soulagement. D'un pas instable, j'avance en direction du hublot pour admirer le paysage marin qui se dessine devant moi.

Dehors, l'horizon s'étire, teinté par l'ultime éclat du soleil couchant. À la surface de l'eau, des camaïeux de rouge ocre, orange sanguine et rose pastel s'entremêlent poétiquement. C'est un tableau unique et éphémère, capable d'hypnotiser n'importe quelle âme humaine. Pourtant, cette vue est pour moi un emblème : celui de l'emprise de ce navire. Le symbole des chaînes invisibles qui lient mes pieds et mes poignets.

Emprisonnée par mon rang, mon nom, mon devoir qui encorde ma vie, je n'ai pas d'autre choix que de regarder le Papillon des mers m'arracher les dernières onces de mon libre arbitre. Chaque miles parcouru m'éloigne des aventures que j'aurais pu vivre, si seulement j'avais été une autre ou bien l'un de mes frères.

Je suis captive de ma condition : dernière héritière de ma lignée, contrainte d'épouser demain le prince Louis Jacob Toussaint. Moi, Léonore Marie Séraphine de Saint-Germain, dix-neuf ans, fille de Philippe Charles Henry, roi de Sainte-Luce, suis condamnée et je déteste ça. Je voudrais purger ce sang royal pour me libérer de tout cela. Hurler, tout balancer, dire « non » sans avoir peur des représailles. Mais c'est impossible.

Je suis sortie de mes pensées par un cri d'alerte rauque et reconnaissable : la voix d'un de mes gardes.

Mes pas me conduisent jusqu'à la porte alors que je devrais, bien au contraire, me prostrer dans un coin comme le veut le protocole de sécurité. Ce que je découvre derrière me glace le sang : mon protecteur au sol, le regard vitreux, transpercé par une épée logée dans sa poitrine. Les larmes montent, la bille avec elles. Je tremble. C'est à peine si mes pieds arrivent à me maintenir debout tellement la panique m'envahit. J'ai peur.

Ma main écrase ma bouche pour étouffer un cri d'horreur alors que je recule d'un pas – peut-être même deux. Je peine à respirer et pourtant, j'arrive à sentir l'odeur de la mort.

Elle embaume chaque particule d'air.

Elle me retourne l'estomac.

Elle m'écrase.

Et c'est là que je le vois.

Sur le seuil de la porte, un homme me fixe, un sourire cruel émerge entre sa barbe. La faible luminosité dévoile son visage balafré et une myriade de tatouages qui décorent son torse nu tout juste recouvert d'un veston brun.

L'homme abat la semelle de sa botte en cuir noir sur la poitrine de sa victime. D'un geste vif, il extrait l'épée sans me quitter des yeux. Ma gorge me brûle. Il sort un foulard rouge d'une poche et nettoie sa lame de manière atrocement normale. Mes yeux me piquent.

Je ne bouge pas. Mes jambes ne répondent plus à ce que ma tête leur ordonne. Les frissons picotent ma chair.

Bon Dieu, qu'est-ce qu'il va faire de moi ?

— Qu... qui êtes-vous ?

— Rogers lui-même, trésor, s'enorgueillit-il d'une voix rocailleuse. Le capitaine du...

Mon sang se fige. Et j'achève sa phrase malgré moi, dans un chuchotement sidéré :

— Bloodthorn.

Le navire le plus redouté des mers.

On raconte que Rogers est né au cœur d'une tempête, que le dieu des enfers lui-même lui aurait assigné un navire qui avait sombré quelques années plus tôt dans les profondeurs de la géhenne. Ses voiles rouges sang peindraient sinistrement l'horizon, signe que la chasse du diable des mers viendrait à débuter.

Les rumeurs parlent du front du capitaine, barré d'une cicatrice, une blessure que seule la foudre aurait pu dessiner. Ses cheveux, aussi noirs que l'abîme, danseraient au rythme du vent, tandis que son regard, un mélange de gris et de vert, sonderait l'âme de quiconque croiserait sa route. Sa beauté hypnotique pourrait vous faire sombrer dans les profondeurs de sa noirceur. Aussi séduisant que cruel, Rogers ne laisse qu'un maigre nombre de survivants à bord des navires qu'il convoite et attaque.

Lorsque vous entendez son nom, vous savez que c'est la fin et que la faucheuse vient à vous. Alors un conseil : faites vos prières et lavez vos péchés auprès de Dieu avant que vos yeux ne se ferment pour l'éternité.

En tout cas moi, c'est ce que je m'apprête à faire. 


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Oy Ho, matelot !

Bienvenue à bord du BloodThorn camarade !

Love.

Kate Lyse

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BloodThorn : La vengeance de Rogers [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant