Le colis

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POV Sidjil

Je monte les escaliers sans me retourner. Alors c'est la nouvelle voisine d'en face. J'aurais presque pu être heureux de savoir ça, ça me donne des opportunités pour aller la voir. Mais non, il a fallu qu'elle dise ça. Pourquoi elle aurait passé l'après-midi avec Sacha? Et surtout, pourquoi il me l'aurait pas dit?

Ça se trouve, elle me ment. C'est sûrement une de ces mytho qui veut juste que je m'embrouille avec Sacha pour une raison ou pour une autre. Oui voilà, ça peut être que ça. Il aurait pas gardé ça pour lui s'ils avaient passé du temps ensemble. Et puis, comment ils se seraient retrouvés? Ils se sont rencontrés hier, en même temps que nous, et là ils se font des petits rendez-vous secrets? Ça tient pas debout.

Mais ça me dérange. Je vois pas pourquoi elle mentirait à ce sujet. J'ai bien compris qu'elle m'aime pas, c'est super clair. Et c'est réciproque, je suis pas son plus grand fan, même si y a un truc chez elle qui me plaît. Mais elle a aucune raison de dire un truc comme ça si c'est pas vrai.

Une fois dans mon appart, je sors mon portable de ma poche et tape le numéro de Sacha. Je dois tirer ça au clair.

Sacha: Ouais?
Moi: Gros, t'as fait quoi cet après-midi ?
Sacha: Bah j'étais au taf, tu veux que je fasse quoi?
Moi: Nan, rien. Oublie.
Sacha: Et après, j'ai été au café.
Moi: Et t'as pas fait une rencontre là bas?

Sacha reste silencieux. Oula. C'est pas habituel, ça. Il bafouille un truc vague, qu'il y avait une nouvelle serveuse et qu'il a passé un moment avec elle. Tiens donc.

Moi: Ta nouvelle serveuse, c'est pas la brune d'hier?
Sacha: Comment tu sais?
Moi: C'est ma nouvelle voisine. Elle m'a dit que vous aviez passé un bout d'après-midi ensemble.
Sacha: Tu l'as croisée là, en rentrant? Elle allait bien?
Moi: Pourquoi elle irait pas bien?
Sacha: Elle s'est salement brûlé la main. Elle avait l'air d'avoir mal?

Ça devrait rien me faire, alors pourquoi ça me touche? Je suis en colère de pas m'être rendu compte qu'elle avait mal. J'aurais dû voir sa main? Et pourquoi il s'inquiète comme ça, lui? Il me dit qu'elle s'est brûlée en préparant sa boisson et qu'ils sont restés ensemble une bonne heure et demie. Rien que ça, une heure et demie. Agacé, je reprends la conversation.

Moi: J'ai rien remarqué, j'imagine que ça devait aller.

Sacha ne répond pas grand chose. J'ai l'impression qu'il y a un truc qu'il me dit pas, et ça me fait bizarre. On se dit toujours tout, peu importe le sujet. On se connaît depuis le collège, y a rien qu'on sait pas l'un sur l'autre. Alors pourquoi il me cacherait un truc? On raccroche, mais je reste sur ma faim. Je rate un truc, c'est sûr.

Je l'imagine, en train de regarder par la vitrine. Il la voit et il rentre, il commande un truc en cherchant juste une occasion de lui parler. Evidemment, elle rigole avec lui. Comme à la salle de sport, quand ils se sont souris. Et elle se brûle. Lui, grand chevalier servant, qui se précipite pour l'aider, passer sa main sous l'eau, la soigner.

Elle qui n'en peut plus d'avoir son attention. Lui qui demande son numéro, parce que ouais, Sacha, quand une meuf lui plait, il est direct. Elle qui hésite 10 secondes, histoire d'avoir l'air impénétrable, mais qui lui donne quand même. Je grogne en m'affalant sur mon canapé. J'aime pas la tournure que ça prend. Moi aussi, je veux la croiser "par hasard".

Le dimanche a filé a toute allure. J'ai fait pas mal de montage, je me suis écroulé super tard, le soleil était déjà en train de se lever. Alors évidemment, quand je me suis réveillé avec la sonnette de mon appart, j'étais pas spécialement ravi. Encore en caleçon, je me suis levé pour ouvrir la porte. En baillant, j'accueille le facteur qui me tend un colis.

Moi: J'ai rien commandé.
Facteur: C'est pas pour vous, c'est pour la voisine d'en face. Vous pouvez le prendre?

J'ai un moment d'hésitation. J'ai pas envie de lui rendre service. Surtout après notre dernière rencontre. C'est dommage d'être jolie comme ça et d'être aussi désagréable. Et puis, j'y pense. Ça me fera une raison d'aller taper chez elle et de repartir sur des bases saines. J'ai une deuxième chance, je peux faire comme Sacha et lui montrer que je suis pas un con.

Je prends le colis et signe le papier du facteur avant de retourner m'enfermer chez moi, le précieux carton en main. Je le pose sur la table et lis ce qui est écrit dessus. « T/P T/N, Appartement 3B, 79 rue de la Pagère, 31 000 Toulouse ». T/P. Je savais que je finirais par connaître ton prénom.

En souriant, je pars me doucher. Je veux être impeccable quand elle revient. Une fois propre, je passe une bonne demi-heure à choisir mon plus beau t-shirt et enfile mon jean délavé. Et puis, j'attends. Toute la journée. Dès que j'entends du bruit dans la cage d'escalier, je me précipite à l'œilleton.

L'attente est interminable. Elle n'arrive qu'à 18h45. La journée a été longue, c'est épuisant de ne rien faire d'autre qu'attendre. Mais ça valait le coup. Muni de mon plus beau sourire, j'ouvre la porte. Avec un peu trop d'entrain, visiblement, puisqu'elle fait un bond de deux mètres devant sa porte. Je m'excuse platement et mes excuses baffouillées semblent la mettre encore plus mal à l'aise. Je me lance, espérant détendre l'atmosphère.

Moi: Alors heum, T/P?
T/P: Sidjil.
Moi: J'ai un colis pour toi. T'étais pas là et le facteur l'a déposé chez ton voisin le plus charmant.
T/P: Merci. Je vois que le charme est une question de perspective.
Moi: Tu veux parler de perspectives? Sacha t'a offert une meilleure vue sur le café, ou tu fais ça avec tous tes clients?
T/P: Je savais pas que j'avais besoin de ton accord pour parler avec des gens.

Touché. Je sais que je devrais faire redescendre la tension, j'avais dit que je voulais qu'on reparte sur des meilleures bases, qu'elle voit que moi aussi je suis sympa, comme Sacha. Mais rien que le fait de penser à lui, ça m'énerve. Pourquoi son ombre plane entre nous alors que je veux lui montrer que je peux faire mieux?

Je lui tends son colis après un silence malaisant. Elle l'attrape, et mon regard se pose sur sa main bandée grossièrement. Je peux pas faire autrement, par réflexe, je prends sa main blessée.

Moi: Ça fait mal?

Elle retire sa main rapidement, comme si mon contact lui faisait encore plus mal que sa propre brûlure. Ses sourcils se froncent. J'ai l'impression qu'un nouveau mur se dresse entre nous. J'y arriverais pas. Je me racle la gorge et reprend la discussion, comme si son rejet n'avait jamais eu lieu.

Moi: T'as pas besoin de mon approbation, t'es une grande fille. Mais t'admettras que c'est bizarre que vous vous retrouviez que tous les deux, juste après notre rencontre.
T/P: Notre super rencontre où tu m'as accusée de remplir mon feed Instagram alors que je voulais juste courir tranquille? Absolument inoubliable.
Moi: Ouais, bon... Écoute, laisse tomber ça. Je pensais juste qu'on pourrait repartir sur des meilleures bases. Sans spectateurs, sans caméra.
T/P: Pourquoi, t'as peur que ton égo ne survive pas à un autre rejet s'il y a des témoins?
Moi: Je veux que tu comprennes que je suis pas juste un clown. Je suis pas comme ça.

Elle reste silencieuse, et je ne sais pas quoi ajouter. On reste dans une espèce de malaise qui ne prend fin que quand elle prend son colis et retourne dans son appartement en fermant la porte, disant un « merci » presque inaudible du bout des lèvres. Tout seul dans le couloir, à fixer sa porte close, je me refais le cours de la conversation.

Un rire acide m'échappe. Elle est impitoyable, j'ai eu aucune chance. Quelle grognasse. Elle m'a pas pris au sérieux une seule seconde. J'ai pas l'impression qu'on va être pote, elle et moi, et je commence à me dire que de toute façon, elle en vaut pas la peine. J'aurais dû rester sur ma toute première impression. Elle est belle, mais vraiment trop désagréable pour avoir un quelconque intérêt. 

Le Goût du café - T/P x Djilsi (Sidjil)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant