l'évasion littéraire

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Je me regarde dans le miroir, sans être très satisfait. Je suis un jeune adulte tout à fait normal, qui n'a rien de spécial ni de détestable. Mes yeux sont bleus comme le ciel, mais sans éclat ni profondeur. Mes cheveux sont brun , mais sans vivacité ni malice. Mon physique est banal, ni trop grand ni trop petit, ni trop mince ni trop gros, ni trop beau ni trop laid. Je soupire, en me demandant ce que la vie me réserve, et si je vais trouver quelque chose d'intéressant dans ce monde.

Depuis que je suis née, ma vie a été monotone et prévisible. Mes parents m'ont imposé un emploi du temps rigide, sans me laisser aucune marge de manœuvre, ni aucune fantaisie. Chaque jour de mon existence, je me sentais étouffée par leurs exigences incessantes, qui ne faisaient que s'accroître à mesure que je grandissais. Ils décidaient de tout pour moi, de ce que je devais faire et de quand je devais le faire. Je n'avais pas le droit de choisir, ni de m'exprimer. Ainsi, j'ai passé ma jeunesse à essayer de leur plaire, en suivant le chemin qu'ils avaient tracé pour moi. J'ai décroché un diplôme, puis un travail de bureau, où je passe mes journées à obéir aux ordres, à subir les critiques, et à assumer les tâches ingrates. Ce travail, c'est eux qui me l'ont trouvé, en me faisant croire que c'était une opportunité à saisir, alors qu'en réalité, ils voulaient juste me garder sous leur contrôle. Ils ne reconnaissent jamais mes efforts, ni mes réussites. Ils ne cessent de me rabaisser, de me comparer, de me culpabiliser. Ma vie n'a aucun sens, aucun but, aucun plaisir. Alors, j'ai cherché désespérément à m'évader, à me distraire, à me divertir. Mais rien ne me satisfait, rien ne me passionne. Je ne suis pas sportive, je n'aime pas cuisiner, je n'ai pas d'amis, je n'ai pas d'amour. Je me suis réfugiée dans la lecture, qui est devenue ma seule consolation. J'ai dévoré des centaines de romans, de tous les genres, de tous les styles, de toutes les époques. Mais même la lecture ne me suffit plus, car je n'y trouve plus que des histoires qui ne me ressemblent pas, qui ne me touchent pas, qui ne me font pas rêver.

Cette semaine a été comme toutes les autres, sans surprise, sans intérêt, sans joie. J'ai accompli ma routine quotidienne, en subissant les aléas du bureau, les reproches injustifiés, et le surmenage habituel. Je suis sortie plus tard que prévu, mais cela ne m'a pas dérangée, car je n'avais rien à faire, ni personne à voir. Je voulais juste rentrer chez moi, dans mon petit appartement, où je pouvais me reposer et me détendre. Et surtout, j'avais hâte d'arriver, car je savais qu'une bonne nouvelle m'attendait. Enfin chez moi, je constate avec bonheur que l'ascenseur de mon immeuble fonctionne, ce qui est rare, et je monte rapidement jusqu'à mon étage. Je pousse la porte de mon logement, et je me déchausse avant de m'installer sur le canapé du salon, qui est étonnamment propre, malgré son âge. Ce canapé était là avant que je n'emménage, et le propriétaire n'a jamais voulu le changer. Je m'y sens bien, je m'y sens chez moi. Je vide mon esprit, en repensant à ma vie, à mes regrets, à mes envies. Soudain, un buzz retentit sur mon téléphone, qui me tire de ma rêverie. C'est le moment que j'attendais, la raison de ma joie, le sens de ma vie. La dernière mise à jour du roman Web dont je suis folle, "Royaume des ténèbres", vient de sortir. C'est un roman fantastique, qui raconte l'histoire d'un héros qui se bat contre les forces du mal, dans un monde peuplé de créatures magiques. C'est un roman captivant, qui me transporte, qui me fascine, qui me fait vibrer. C'est le seul roman qui me plaît, qui me parle, qui me correspond. Je suis accro à ce roman, je ne peux pas m'en passer. Je suis l'une des rares fidèles, qui ont suivi ce roman jusqu'au bout, malgré les difficultés, malgré les interruptions, malgré les critiques. Ce roman, qui a failli être abandonné, qui a perdu presque tous ses lecteurs, qui a été ignoré par les médias. Ce roman, qui n'a plus que deux fans, moi et une autre personne. Une personne mystérieuse, que je ne connais pas, que je n'ai jamais vue, que je n'ai jamais entendue. Une personne qui lit chaque chapitre, qui laisse un commentaire, qui partage son avis. Une personne qui m'intrigue, qui m'attire, qui me plaît. J'ai essayé de la contacter, de lui parler, de lui écrire. Mais je n'ai jamais eu de réponse, jamais eu de signe, jamais eu de contact. Je me demande qui elle est, ce qu'elle fait, ce qu'elle pense. Je me demande si elle m'aime, si elle me comprend, si elle me ressemble. Je me demande si elle est comme moi, si elle est comme lui, si elle est comme eux. Je me demande si elle existe, si elle est réelle, si elle est humaine. Je pensais renoncer à ce roman, et en choisir un autre, plus populaire, plus apprécié, plus commenté. Un roman qui a un grand nombre de fans, qui forment une communauté, qui échangent entre eux. Un roman qui me permettrait de me faire des amis, de me sentir intégrée, de me sentir aimée. Mais je ne peux pas, je ne veux pas, je n'ose pas. Car ce roman, c'est mon roman, c'est mon trésor, c'est ma vie.

je me mit a lire , je suis plongé dans mon livre, captivé par l'intrigue et les personnages. Je ne remarque pas l'odeur de fumée qui se répand dans l'appartement, ni le crépitement des flammes qui dévorent le canapé. Je ne vois pas non plus les lueurs orangées qui dansent sur les murs, ni la chaleur qui monte progressivement. Je suis trop absorbé par ma lecture, trop loin de la réalité.

Je ne prends conscience du danger que lorsque le détecteur de fumée se met à hurler, me faisant sursauter. Je lève les yeux et découvre avec horreur le spectacle qui s'offre à moi. Le salon est en feu, les flammes lèchent le plafond et les meubles. La fumée me pique les yeux et la gorge, m'empêchant de respirer. Je me lève précipitamment, lâchant mon livre, et cherche une issue. Mais il est trop tard. La porte d'entrée est bloquée par le feu, et les fenêtres sont grillagées. Je suis piégé.

Je me mets à paniquer, à crier, à appeler à l'aide. Mais personne ne m'entend. Les voisins sont sortis, les pompiers ne sont pas encore arrivés. Je suis seul, face à la mort. Je me sens faiblir, perdre connaissance. Je tombe à genoux, puis je m'effondre sur le sol. Les flammes m'atteignent, me consument. Je ne sens plus rien.

Mon livre, lui, reste intact. Il est tombé sur une table basse, à l'abri du feu. Il est ouvert à la page où le héros échappe de justesse à un incendie. Une ironie cruelle du destin.

Le souffle du phénixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant