Acte IV - Scène 1

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« Tu es comme Rhaast : une lame brisée ! »

La douleur c'était quelque chose. Je commençais à la connaître, à l'apprivoiser. Mais lorsqu'elle s'alliait à une fatigue virulente, pesante comme si mes épaules s'étaient chargées de plomb et que mes jambes tremblantes peinaient à se relever à chaque foulée, elle perforait ce qu'il me restait de courage. 

La nuit avait voilé le versant de la montage et ses dénivelés sinueux que nous suivions depuis un moment. Nous marchions depuis l'aube et la pause du déjeuné n'avait duré que quelques ridicules minutes. La roche défilait comme le temps s'étirait. Sans fin. J'avançais en queue de cortège pourtant, dans le sillon du groupe silencieux, lui aussi terrassé par l'effort intense et continu. 

Les reines de Daigo en main, je ralentissais dangereusement au milieu de notre ascension de l'escarpement. Chaque pas menaçait d'être le dernier depuis bien trop longtemps. A cet instant, la douleur sous ma voûte plantaire me fit céder. Je m'arrêtai, à bout de souffle, à bout de force. A bout de tout.

« Tu veux que je te porte ? gloussa Kayn qui s'était retourné vers moi. Je peux te sangler les jambes au creux de mes reins, viens voir... »

Je relevai la tête vers lui. S'il était éreinté, sa posture fière en dissimulait toute trace, le torse à l'air bombé comme s'il partait à la conquête du monde. Un sourire en coin, il fit quelques pas vers moi, si bien assurés que je le vis en cet instant comme un monstre de résistance. Un monstre outrageant d'élégance en ces circonstances. 

Il saisit les reines de ma monture :

« Allez, file-moi ça ! »

Par reflexe ou par principe, je secouai la tête pour désapprouver cette faveur et tendis la main pour reprendre mon fardeau. Il la repoussa sèchement.

« Oublie.

— Les consignes... de Maître Zed... bredouillai-je entre deux respirations chaotiques.

— T'en fais pas pour ça, vas ! T'as les atouts pour passer outre.

— Je te demande pardon ?

— ...

— Je veux respecter les règles... comme tout le monde ! Et je ne vois pas... de quels atouts tu ...

— Ben tiens ! Ne mens pas à ton camarade ! Je suis pas stupide !

— J'ai jamais pensé ça... »

Il savait. Forcément. Quand l'avait-il compris ? Et comment ? J'étais prise au dépourvu, il n'en avait jusqu'ici rien laissé paraître.

« Hirose ? Secoue-toi ! s'irrita Kayn qui avait repris sa marche. Le groupe avance, ne le ralentis pas ! »

La douleur me brisait les orteils, les jambes, les genoux, muscles, tendons, tout y passait. Mes forces s'évaporaient et mes poumons réclamaient bien plus d'air qu'il ne m'était permis d'en avaler. 

« Avance bordel ! »

La voix de Kayn remis mon corps en mouvement. Mécanique. Un pas. Après. L'autre. L'agonie dans la chair, je tentais d'oublier la réalité de mon état, les yeux rivés sur Kayn, j'enviais sa force, sa solidité et la facilité arrogante avec laquelle il déambulait. Ma vision se troubla. Kayn se stoppa net pour me toiser avec dédain. Je m'étais immobilisée et je venais tout juste de m'en apercevoir.

« T'es pas un cadeau... soupira-t-il. »

Il me saisit brusquement par les hanches et me hissa sur Daigo en pestant :

« Petite nature... »

Je n'eus ni la force de lui répondre ni celle de le remercier. Cette scène me vaudrait d'éternelles railleries. Mais j'avais définitivement atteint mes limites. Je vacillai. Ma tête plongea sur la crinière du cheval, douce et confortable, je me laissai bercer par son allure régulière. Surtout... ne pas... fermer... les... yeux.

Ode au Chaos [ Zed & Jhin • League of Legends fanfiction ] (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant