I. L'enfant chagrin

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C'était un lundi matin comme un autre: les rues déjà foisonnantes s'activaient en sortant la ville de sa somnolence. On voyait déjà les premiers marchands remplir leurs étalages en exaltant leurs produits. Certains ouvriers, les plus matinaux, se dirigeaient vers leurs lieux de travail, sac à la main.

Au milieu de ce joyeux bazar, on pouvait apercevoir quelques enfants.
Certains, qui avaient une maison et des parents bien à eux, se fraillaient un chemin vers l'école. D'autres, orphelins, des gamins disait-on, flânaient la tête en l'air. Ceux-là n'étaient pas malheureux: ils volaient des pommes, buvaient à la fontaine et dormaient dans des cachettes qu'ils étaient les seules à connaître. Ils aimaient la rue et la rue les aimait.

Parmi ces sans-famille, un jeune homme se détachait du lot. Il avait le sourire naturel et le rire facile. Ce garçon ressemblait à un gosse ordinaire: pas très grand, pas très gros, il portait un manteau de coton trop large pour son corps de seize ans et il avait la peau un peu brunie par sa vie d'extérieur. Son visage fin était orné de quelques égratignures causées par des bêtises. Ses lèvres étirées laissaient apparaître des dents blanches comme des carrés de sucre. Il avait de beaux yeux, dont la couleur semblait indéfinissable. Certains les voyaient brun, d'autres vert. Des dizaines de mèches châtanes cachaient son front. Il s'appelait Han Jisung.

Ce jeune vagabond que nous venons de décrire était bien connu des habitants du quartier. Pas un seul marchand n'était épargné par ses talents de chapardeur, et il arrivait souvent qu'il dérobe une montre ou un bijou lors du marché. Quand on criait: "Satané gosse !" On voulait dire: "Jisung m'a volé."

Jisung, nous l'avons dit, n'avait ni parent ni foyer. Il faisait partie de ces drôles d'enfants qui s'éduquent tout seul. Il était aimable, mais jamais courtois: il criait aux demoiselles: "Salut belle fille!" Pour dire bonjour. Il était espiègle mais pas malveillant: il dépouillait les vendeurs et les passants, mais plus par amusement que par méchanceté.
Il n'était pas foncièrement gentil, mais il aimait faire semblant d'être bien élevé. Il maîtrisait l'étrange language qu'est l'argot et se plaisait à se donner le titre de poète.

Il avait tout appris grâce à la rue. La foule lui avait appris à parler, les murmures à travers les bâtiments à écouter, les pavés des routes tordues à marcher et les coups de bâton à courir.

Jisung, nous l'avons répété encore et encore, était orphelin. Il était toujours seul à déambuler une pomme à la main. Jamais on ne l'avait serré dans ses bras, jamais il ne s'était vanté: "Mon père, il gagne cinq francs par jours !" Jamais il n'avait croisé ce regard tendre de la mère à son enfant, jamais on ne l'avait observé avec amour en murmurant: "Qu'il est beau mon fils, quel trésor..."
Il était un garçon solitaire comme il y en avait par centaine dans les rues parisiennes de l'époque. Il n'avait rien de plus que certain, rien de moins que d'autre et il n'était pas du tout différent de tous les gosses abandonnés dans la misère de la ville.

Ce lundi, Jisung trottait sur le bitume comme il le faisait chaque jour, son vêtement d'homme s'agitant entre ses pieds d'adolescent. Le boulevard Voltaire s'éveillait avec cette paisibilité propre à sa population aisée.

Le châtain chantait à pleine voix, récoltant les plaintes et jurons des habitants encore endormis.

-C'qu'il était beau l'fils du roi ! Il avait des mains en or et des yeux en diamant.

Sa chanson, qu'il inventait sur un air plutôt classique, parlait d'un prince, un bel homme aux vêtements coûteux. Il l'imaginait grand et bien formé, le corps élancé et quelque peu efféminé.

-C'qu'il était beau, l'fils du roi ! Il chantait en parlant et dansait en marchant. Il avait un beau cœur et un bel amant, un paysan; pour lui, le prince devenait charmant.

✷ Les perles d'amour ::. Minsung Où les histoires vivent. Découvrez maintenant