Un coup de bec. Un filet de lumière. Le monde s'ouvre. La petite tortue s'extirpe de son oeuf, au milieu de coquilles vides : elle est la dernière à naître.
Une plage, un soleil, des algues, l'odeur de la mer. Elle est émerveillée. Et puis l'océan... Et dans les vagues, les tortues, qui entrent dans l'eau.
La petite tortue pousse un cri... trop faiblement. Elle veut les rejoindre...bute contre les coquilles vides. Les tortues s'enfoncent dans les petites vagues et disparaissent. La petite tortue peine, rampe sur les dunes, s'enfonce dans les grains de sable. Un cri lui fait lever la tête : des mouettes planent. Elle sourit, éblouie. L'une se pose, non loin d'elle, et l'observe. La petite tortue change de direction et s'approche d'elle. La mouette s'envole. D'autres la rejoignent. Elles volent en rond au-dessus de la tortue. Un ballet, rien que pour elle. Elles descendent de plus en bas, de plus en plus vite, de plus en plus près.
Trop lent, disent-elles. Trop lent !
Tu vas te faire manger !
La petite tortue prend peur. Elle essaie d'atteindre la mer. Elle pousse un petit cri : l'une des mouettes l'a becquetée en plein vol. Puis une autre. Et une encore une. Elle essaie de se protéger avec ses bras.
La petite tortue n'est plus loin de l'eau. Qu'est-ce que l'eau ? Les tortues y sont allées. Elle veut les rejoindre. L'eau l'éclabousse. La repousse. Elle retourne à l'assaut. Elle essaie plus fort. Et elle entre dans l'océan.
C'est si calme, si agréable. La petite tortue ne sent même pas son propre poids. Ses bras palmées brassent l'eau et l'emmènent entre les gloires et les algues qui dansent. À la maison. Loin de la terre hostile.
Un mouvement attire son regard : un poisson. La petite tortue l'observe. Puis elle s'approche. Le poisson disparaît prestement. Il ressurgit derrière elle. La petite tortue se met à rire. Elle veut jouer. Le poisson la bouscule et disparaît. Il est trop rapide pour la petite tortue. D'autres poissons se pressent autour d'elle et la malmènent.
Trop lent, disent-ils. Trop lent !
Et qu'est-ce qu'il y a de mal à cela ? Je prends mon temps, il y a tant de belles choses à regarder.
La petite tortue veut arrêter de jouer. Pas les poissons.
Elle met donc un voile devant ses yeux pour ne pas les voir, et se dirige vers les profondeurs obscures de la mer. Là, ses bras s'affermissent. Sa peau se durcit. Son corps s'enveloppe d'une coquille. La petite tortue devient inattaquable. Elle sort enfin de sa cachette pour revoir les gloires et les algues qui dansent.
Trop lent, disent les poissons. Trop lent !
Mais la tortue ne les écoute plus. Elle se cache dans sa cuirasse comme dans un coquillage. Elle est insensible à leurs coups. Insensible à leurs voix. Et pourtant... pourquoi a-t-elle encore mal ? Cela ne vient pas de dehors. Mais de l'intérieur. Elle se laisse blesser par une écaille qui ne la quitte plus. La peur ? La haine ? La solitude ?
Elle ne sait pas. Mais depuis, les tortues ont une carapace.