Brisures de verre

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Il regarda longuement le message, des larmes coulant sur ses joues. Finalement, cet homme dont il avait si peur n'était qu'un ami en quête d'attention. Il répondit un " moi aussi " timide et plein de regrets. Il avait envie de le rencontrer, qu'il lui parle de ce qu'il avait oublié, et surtout pourquoi il jouait à ce cache-cache angoissant. Finalement, il se décida à réveiller Charlie qui dormait déjà profondément.

- Qu'est ce que tu veux à cette heure ? Râla -t-il en s'essuyant les yeux et bâillant à s'en décrocher la mâchoire.

- Je me souviens d'une chose de mon enfance ! J'ai retrouvé un souvenir ! Répondit Réo à toute allure tant il était excité et ravi.

- Oui oui ... C'est bien mais... De quoi tu te souviens exactement ?

- Je me souviens du jour où je suis allé au parc sous la pluie et du jour où j'ai rencontré Ethan !

Charlie écarquilla les yeux. Ethan. Voilà longtemps qu'il n'avait plus entendu ce nom, et cela n'anonçait rien de bon. Il prit Réo par les épaules et commença à crier.

- Oublie le ! Oublie Ethan une bonne fois pour toute Réo, je t'en supplie !

Ebêté le jeune homme le regarda un moment, n'entendant que les suppliques de son ami.

- Pourquoi ? Demanda-t-il confus. Pourquoi est ce que tout le monde souhaite que j'oublie ?

- Parce que c'est mieux pour tout le monde. Fais moi confiance !

- Et ma famille ? Je dois l'oublier elle aussi ?

- Franchement ça vaudrait mieux aussi... Tu sais, tu serais peut-être plus heureux si tu ne te rappelais rien de ton passé.

- Mais pourquoi ? Que s'est-il passé bon sang ?

- Je... Je refuse d'en parler. Alors ne me demande plus et retourne voir Madame Van Gebruick, ça te fera du bien. Écoute moi bien p'tit gars. T'es le fils que j'ai jamais eu, je tiens à toi plus que tout. Ne te mêle plus de ça. Maintenant laisse-moi  dormir.

Réo se leva et sortit de la chambre de Charlie. S'en était trop pour lui, et il sortit prendre l'air. Il déambula dans les rues vides et sombres, la tête pleine de pensées. Il était complètement perdu. D'un côté il voulait choisir la solution de facilité et abandonner ses recherches. Mais d'un autre, il se demandait pourquoi il était le seul qui n'avait pas le droit de savoir. Il voulait se connaître lui-même, être comme tout le monde et avoir une vie, un passé, une enfance. Il s'assit sur le rebord d'un muret qui longeait un parc fleuri et bien entretenu dans lequel une route longeait un petit canal occupé par les canards et les cygnes et regarda le sol pavé de briques rouges, la tête entre ses mains. Il commençait vraiment à être agacé par cette situation. Il avait l'impression de tourner en rond. Peu importait les choix qu'il faisait, c'était comme s'il choisissait toujours le mauvais chemin. La colère commença à l'envahir lorsqu'une voix qu'il reconnut tout de suite le sortit de ses réflexions.

- On t'a demandé de l'oublier hein ?

- Ethan ?

- Ais-je tort ?

- Non... Même Charlie ne veux pas de toi...

- Ça se comprend. Mais... Peu importe ce que tu fais, au fond, tu ne m'oublieras jamais.

Ethan se rapprocha de lui, collant son front sur celui de Réo. Celui-ci, ne bougea pas. Il appréciait énormément ce contact inopiné. Son ami posa ses mains sur ses épaules plongeant ses magnifiques yeux verts dans les siens et murmura :

- Peu importe ce qu'ils disent ou ce qu'ils feront nous seront toujours liés. Je t'aime Réo, et je ferai tout mon possible pour qu'il ne t'arrive jamais rien, pour que rien ne t'atteigne.

Réo ferma les yeux un instant perturbé par ce qu'il se passait. Son haleine de menthe fraîche et son parfum fleuri étaient si agréables qu'il aurait souhaité rester comme ça pendant un long moment. Il se sentait bien, comme enveloppé dans un cocon que personne ne pouvait traverser. C'était un sentiment étrange pour lui. C'était nouveau. C'était plaisant. C'était bien la première fois qu'il se sentait aussi proche de quelqu'un et ses insécurités avaient disparues en même temps que son ami, car lorsqu'il ouvrit les yeux, il s'était volatilisé sans un bruit. Il resta un moment assis sur ce muret, scrutant les alentours pour espérer l'apercevoir. Où avait-il bien pu aller pour s'évanouir dans le paysage urbain en une fraction de seconde ? Il ne retourna chez Charlie qu'au petit matin, épuisé de sa nuit blanche. Mais il alla travailler comme si de rien n'était. Il n'aborda pas le sujet de sa famille ou d'Ethan et son vieil ami fit également comme si leur conversation n'avait jamais eu lieu. Réo reprit son sourire faussement heureux et les jours passèrent ainsi sans qu'Ethan ne réapparaisse. Tous les jours, le jeune homme attendait de ses nouvelles. Mais rien. C'était le silence total.

Puis, une nuit, un autre souvenir lui revint. Il regardait ses mains ensanglantées dans lesquelles s'étaient plantées des brisures de verre. Il leva la tête et trouva une fenêtre brisée.  Il se trouvait dans une espèce de cabane en bois, perchée dans un arbre au fond d'un jardin. Était-ce son jardin ? Sa cabane ? La photo qu'Ethan avait prise était accrochée sur l'un des murs, sur lequel un panneau de liège avait été installé. Et au milieu des innombrables dessins, bien en évidence le cliché se démarquait. Deux visages radieux s'y trouvaient. Il toucha la photo du bout de ses doigts pleins de sang puis fut interrompu par des lumières rouges et bleues qui clignotaient au loin et l'agitation du quartier se faisait entendre. Il se sentait angoissé, paniqué. Sa respiration était lourde, les battements de son cœur étaient si rapides qu'ils semblaient vouloir sortir de sa poitrine et les larmes coulaient sur ses joues. Il pleurait à chaudes larmes. Pourquoi ? Que se passait-il ? Y avait-il eu un drame non loin d'ici ? Il ne reconnaissait pas la maison qu'il voyait, mais un étrange sentiment désagréable lui disait que c'était sûrement la sienne.

- Ne t'inquiètes pas Réo ! Fit le petit Ethan en le prenant dans ses bras. Peu importe ce qu'il se passe je serais toujours là pour toi ! Je te protégerai de tout !

Ses paroles le calmèrent un peu, puis il prit Réo par la main et l'emmena loin de cette maison autour de laquelle policiers, ambulances et habitants du quartier s'étaient regroupés.

Il se réveilla en sueur, les larmes coulant sur ses joues et une douleur atroce sur les paumes de ses mains comme s'il revivait le drame, comme si ces brisures de verres avaient non seulement blessé son corps et mais aussi son cœur.

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