La barrière

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Aractus se précipitait dans les couloirs. La galerie était profonde et encombrée. Il dû pousser des pattes, des ventres, marcher sur des queues ; ce qui lui valut des exclamations et des coinements reprobateurs dans son dos.

En temps normal, il aurait certainement reçu un blame si un agent l'avait vu. Mais ce n'était pas le moment de s'en préoccuper. Il avait un message à passer, et vite : les troupes ennemis avait déjà envahis le secteur sud. D'une minute à l'autre, le colonel lâcherait la première ligne au front près de la barrière, sans savoir que les punaises les y attendaient de l'autre côté. Ce serait un véritable bain de sang.
Aractus accéléra, poussa sur ses muscles, griffant le métal pour se faufiler par la bouche d'égout. La crasse lui collait les pattes. Ici il était à découvert. Le pire endroit sur terre, pensa Aractus. Seuls les escadrons de repérage et les rats solitaires, poussés par la faim, prenaient le risque de se déplacer ici. Mais il n'avait plus le choix. Il devait continuer le chemin à la surface. De ce côté, les galeries avaient été cloisonnées dans un mouvement stratégique pour empêcher l'ennemi d'avancer. Le Genérale Dévor avait ordonné que l'on y bouche toutes les entrées. Depuis, ces tunnels étaient impraticables, et les vestiges des maisons qui y restaient, vidés de tout. Il y avait de la vie ici, avant. Aractus se rappelait des marchands qu'il voyait revenir de la vieille ville, les pâtes garnies de trésors, le poils recouverts de pollens et de poussières qui sentaient le printemps. C'était avant l'arrivée des envahisseurs et leur progression impressionnante. Leur nombre croissait de manière exponentielle de jour en jour. Pour un soldat tué, dix revenaient le remplacer. Il était évident que la supériorité des rats au combat n'était pas à débattre. Mais c'est sur le nombre que l'ennemi les prenait en tenaille. Comment rivaliser face à une mer de monstres prêt à vous etouffer vivant ?
La grande route se dessinait en contre bas. Les moteurs grondaient, plus menaçants encore qu'une armée entière de chats. Aractus hésita si fort. Ses pattes tremblaient. Et s'il n'arrivait jamais à atteindre le colonel vivant ? Et si les punaises envahissaient le périmètre entier, puis la ville ? Il ne donnait pas chère de l'avenir des galeries. Et il y avait des familles là-dessous. Des mères, des filles, des jeunes ratons.
Il posa une griffe sur le bitume, à la lumière des étoiles. Il n'était plus question de réfléchir à présent. Plus du tout.
Il longea la gouttière, en se prosternant si bas que son ventre raclait le sol. Quelque chose n'allait pas. Lorsqu'il releva la tête, des éclats bleus glissèrent dans l'allée, contre les trottoirs. Il se recroquevilla, jusqu'à ce qu'il comprit que les lumières qui provenaient de la grosse boîte rouge ne lui feraient rien. Les hommes étaient trop occupés avec quelque chose de gros parterre. Ça sentaient le sang et un mélange étrange qu'il n'arrivait pas à décrire. Mais ce calme était une aubaine qu'il n'aurait jamais pu souhaiter. Et il devait faire vite car le calme, ici plus qu'ailleurs, ne durait jamais plus qu'un instant.
Il sortit en trombe, remonta les voies, glissa sous les lumières en priant pour que personne ne le voit. Il s'arrêta sous les roues, un moment. Pour réfléchir. Les voix, profondes et rauques des hommes, tempétaient dans son sillage. Il devait se calmer avant de faire une bêtise. Son cœur cognait si fort entre ses pattes qu'il lui bouchait les oreilles.
- Hey ! Siffla une voix aussi faible qu'un murmure.
Elle aurait pu se confondre avec le bruit du boulevard, le crissement assomant des portes que l'on ouvre, celui des roulettes qui s'affolent entre les pas solides des hommes. Aractus tourna la tête dans tous les sens.
- Hey, coina à nouveau la voix, par ici !Un pelage sombre comme l'eau des sous-sols fonda sous la lumière, avant de disparaitre entre les bennes de vieilles nourritures, de l'autre côté. Aractus hésita. Puis dans une pulsion, il se précipita sur le goudron. Il couru à en perdre haleine. Traversant à découvert. Ca lui paru interminable, mais il ne ralentit pas. Il savait qu'il risquerait gros s'il le faisait. Des phares se mirent à briller - une ligne entière - qui chargea droit sur lui à une allure invraisemblable. Il se jetta sous la benne juste avant que l'un des moteurs rugissant ne le prenne de court, et qu'une roue ne lui broie la patte. Il roula contre la chaussée. Se carapata dans l'ombre, sous la grosse plaque de métal. Le traffic avait reprit. Les machines s'enfilaient comme un troupeau immense prêt à tuer. Le sol tremblait.

Numéro 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant