Riley

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Les Red Rocks Canyon. Je me suis gorgée de photos avant mon départ, sans pour autant être préparée à de tels paysages. La hauteur des falaises, cette roche rouge, l'air sec, la proximité de Las Vegas alliée à une sensation de solitude absolue.

L'escalade ici est tout simplement époustouflante. En Suisse, mes Alpes sont magnifiques, je leur porte un amour infini et je sais que je serai heureuse de rentrer chez moi pour les retrouver. Pour autant, ici c'est... si différent. Magique. J'apprends tellement, mon corps poussé à ses limites alors que mon esprit se libère. Ce stage a des vertus aphrodisiaques auxquelles je ne m'attendais pas.

Enfin, c'était jusqu'à ce matin. À l'aube de notre sixième jour sur place, alors que le temps était sublime et mon moral au beau fixe, voilà que l'un de nos guides a réussi l'exploit de s'encoubler sur l'un des tendeurs de sa tente.

Bête, non ?

Et douloureux ?

Absolument.

Quand Jim ne s'est pas relevé, j'ai tout de suite senti que quelque chose n'allait pas. Notre second guide est vite intervenu et a décidé de l'emmener consulter. Résultat : entorse. Je suis tellement désolée pour lui. Je suis persuadée qu'il doit s'en vouloir, en plus d'être frustré de se retrouver ainsi immobilisé. Il va se reposer à l'hôtel en attendant notre retour, dans quatre jours, j'espère que ça ira pour lui.

Un nouveau problème se pose, il nous faut absolument être entourés par un second professionnel, sinon, la moitié d'entre nous ne pourra pas grimper. À cinq participants, deux guides, c'est le minimum.

Ma meilleure amie, Jackie, une petite bombe énergétique d'un mètre cinquante, soupire toutes les deux minutes depuis que notre second moniteur d'escalade nous a téléphoné pour nous aviser des résultats d'examen. Je me retiens même si je n'en mène pas large, à l'instar de nos trois compagnons, deux jumeaux et la femme de l'un d'eux. Mon cœur s'étreint à l'idée de devoir passer la journée ici, voire même d'annuler notre séjour. Ce n'est pas évident à trouver, un moniteur d'escalade ayant les qualifications pour nous encadrer, au pied levé.

Je chasse une mèche de mes cheveux blonds qui revient sans cesse devant mes yeux. Un vent léger s'est levé et amène une drôle d'ambiance dans ce camping plus que sommaire, sans douche et avec des zones d'ombres aussi nombreuses que nous.

Je lance l'idée d'aller nous balader dans les environs immédiats et Jackie valide ma proposition. Je passe les sangles d'un minuscule sac à dos avec une bouteille d'eau à mes épaules et nous voilà parties, non loin du chemin carrossier que nous empruntons chaque jour en jeep pour nous mener à nos lieux de grimpe : Juniper Canyon, Pine Creek... de merveilleux endroits !

Nous papotons, dans l'optique de nous remonter le moral et ne pas penser à ce pauvre Jim blessé et à Gaspard qui nous a assuré faire jouer son carnet d'adresses américain pour trouver un remplaçant. J'espère qu'il y parviendra !

Une heure s'est passée et nous décidons de rebrousser chemin afin d'être de retour au camp pour le repas de midi. C'était une bonne idée d'aller marcher, je me sens bien mieux à présent. Et mon sourire s'élargit lorsque j'aperçois la jeep de Gaspard en train de se rapprocher, aisément reconnaissable à sa couleur orange fluo. Un coup d'œil à Jackie et nous voilà toutes les deux à dévaler la douce pente qui nous amène jusqu'à la pseudo route qu'emprunte le véhicule.

Notre guide s'arrête à notre niveau et glisse la tête par la fenêtre ouverte.

— Riley ! Jackie ! J'ai un cadeau ! Montez !

On ne se le fait pas dire deux fois et grimpons à l'arrière. Je remarque alors seulement la présence d'un passager. Ce dernier se retourne pour nous saluer et mon cœur loupe un battement.

Mais que voilà ? Un cadeau ? Pour les yeux, sans aucun doute.

Celui que je devine être le remplaçant de Jim est plus jeune que lui. Il ne doit pas encore avoir la trentaine. Des cheveux à peine longs ébouriffés, des iris marron presque noir, une mâchoire carrée et de légères taches de rousseur le rendent plus que recevable. Comme cadeau. Ou comme guide. Les deux me vont.

— Je vous présente Connor, expliquer Gaspard en redémarrant la voiture. J'ai eu un coup de chance incroyable de le trouver et de l'embarquer aussi sec.

Un voile passe dans les yeux du blond ténébreux (est-ce que ça se dit ?), et je me demande ce qu'il signifie. Mais tout de suite, un sourire se plaque sur son visage et deux fossettes apparaissent sur ses joues.

Bien sûr. Des fossettes. Je ne peux pas résister à des fossettes.

Nous discutons jusqu'au camp. Jackie est surexcitée, trop heureuse de savoir que nous pourrons grimper cette après-midi déjà. Pour ma part, si je partage sa joie, je n'arrive pas à détacher mon regard de ce Connor. Mon amie m'envoie un coup de coude dans les côtes lorsque nous descendons du véhicule.

— T'es pas discrète, arrêtes de baver ma vieille.

À cet instant, je croise les yeux de l'Américain et capte son sourire en coin avant qu'il ne se détourne. Et merde, il a entendu.

Évidemment, c'est avec lui que nous formons une équipe. Le choix a été vite fait : aucun des trois autres participants ne maîtrise l'anglais comme nous. Pour ma part, cette langue me vient de mon père, originaire d'Atlanta tandis que Jackie a passé deux ans à Londres. Ce n'est pas pour me déplaire, soyons honnêtes. Je ne me lasse pas de le parcourir des yeux. Mon problème, c'est plutôt d'avoir la tentation à portée de main. Je ne dis pas non au plaisir lorsqu'il se pointe sous mon nez, mais pas n'importe comment ni n'importe où. Or là, je préfère éviter d'être distraite. Je veux grimper, pas draguer.

La difficulté augmente d'un cran quand il se met à nous parler en long et en large des falaises que nous avons déjà escaladées et celle vers laquelle nous nous dirigeons à présent. La passion dans sa voix, la chaleur qui se dégage de lui m'arrachent de délicieux frissons.

Les heures qui suivent sont aussi galvanisantes qu'épuisantes. Les conseils de Connor, prononcés avec cet accent que j'aime tant, sont avisés et grâce à lui, je parviens à me hisser vers le sommet avec une aisance que je ne me soupçonnais pas. Sa voix, rauque, un brin cassée, est ensorcelante.

Mon cas s'aggrave définitivement lorsque Connor s'approche de moi pour me désencorder. Mes doigts engourdis sont lents et inefficaces et il s'est empressé de me venir en aide. Je suis crevée.

Son corps proche de moi, ses yeux plongés dans les miens quand il termine de me libérer m'hypnotisent pendant un temps que je ne saurai définir. J'ai chaud, très chaud, et cela n'est pas dû à un quelconque effort physique. Je distingue tout, son nez cassé, légèrement tordu, sa peau bronzée qui appelle au contact, sa barbe qui affleure, la boucle qu'il possède à une oreille... Je me passe la langue sur la lèvre inférieure sans m'en rendre compte. C'est son regard braqué dessus et ses sourcils froncés qui me sortent de ma transe. Je fais un pas en arrière, confuse.

— Quand vous aurez fini, on pourrait rentrer, râle Jackie.

Summer RocksOù les histoires vivent. Découvrez maintenant