Des choses à dire

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Un jour, on m'a dit : ça se voit tu as des choses à dire toi ! Depuis, je fais que d'y penser. Cette phrase tourne dans ma tête. C'était après une rédaction de français. Je montre jamais mes rédactions et mes notes de français à mes potes. Ca colle pas avec mon image. Enola la racaille qui a des bonnes notes en français. Mais il semblerait que mes potes soient en paix avec ça. Ils me posent plus jamais la question. Mon nom à moi c'est Enola. Avez-vous remarqué qu'en lisant à l'envers, ça donne "Alone" ? Je l'ai vu dès que j'ai commencé à parler anglais. 

Oui j'ai des choses à dire. Mais je sais pas comment les dire. Qui écouterait Enola ?Qui irait voir les marges de ses cahiers remplies de plein de vers, de morceaux de texte ? Personne. Personne prend la peine d'écouter une fille comme moi. Mais c'est pas plus mal. Qui arriverait à accepter que les racailles-intellos ça existe ? Qui parviendrait à comprendre que les cases sont pas  fermées, et qu'il existe une ouverture.

***

J'arrive devant le portail du lycée. Tout de suite, je repère mon groupe : une racaille ça traîne pas seule, jamais. De toute façon, il est difficile à louper : c'est le gang des vêtements noirs, des Lacoste-TN. Et j'en fais partie, au grand damne de mes parents. Je sens qu'on tourne la tête quand je passe, les gens ont peur de ce groupe. Pourtant, aucun de ceux que je connais est dangereux, ils sont justes cancres. J'arrive, on me check, on me tape dans le dos, on me lance des "Eno !!". Je me sens à ma place ici. Personne est vraiment mon ami très proche, pourtant c'est tous mes potes. J'ai juste besoin de les voir pour que ça aille mieux. Ils sont toujours de bonne humeur. Il y a toujours Mohamed pour se battre avec un ou deux gars qui cherchent la merde exprès, mais l'ambiance est toujours cool, non prise de tête. J'avoue que quand j'aperçois sur les bancs de pique-niques, livres ouverts et stylos en main, les intellos aux culs pincés qui crient dès qu'un gars s'approchent d'elle, ça me donne tout sauf envie. J'ai plutôt envie de leur rigoler au nez et leur dire qu'ici on s'amuse pour de vrai. 

Jérémy arrive, il claque le dos de Moha en lui hurlant "Ta mèèèère" dans l'oreille. 

-Jer t'es mort, la vie t'es mort.

Et, en grand gamin qui se respecte, Moha se met à s'élancer derrière Jer en poussant de grands glapissements étranges. Je rigole, plus par habitude que par véritable humour. Sans cesser de regarder la bagarre qui se déroule entre Jer et Moha, je pose mon sac sur le banc en pierre. Ce dernier est lourd comme un âne mort et pèse sur mes épaules d'une façon insupportable. 

Jer se prend un coup de poing dans l'oeil. Puis il en fout un gros dans le ventre recouvert de bourrelets protecteurs de Mohamed. Ce mec, c'est un peu Hulk, on dirait qu'il ressent rien, pas la douleur des mots ni des coups. On dirait qu'il a une sorte de couverture imperméable à tout ce qui pourrait lui faire du mal. Jer est choqué lui-même par la force qu'il a mis dans son poing et qui a pas fait ciller Moha d'un millimètre. Le pire étant que lui a mal aux phalanges. 

Anthony me rejoint.

-Eh Eno, tu m'as même pas dit bonjour !

-Ouais salut Antho.

-Pas envie d'aller à ces merdes de cours hein ?

-Tu verras jamais ma gueule sourire en passant le seuil d'une classe, sauf si c'est pour sortir. C'est une promesse.

-Je sais, tu me l'as dit quinze fois. Bon allez je te laisse, Jer a besoin que je ramasse sa dignité à la petite cuillère.

-C'est ça salut.

Je me retrouve à marcher au beau milieu du troupeau sombre que nous formons. Quelqu'un me tape l'épaule. Je me retourne. C'est Sheila. Elle me sourit comme une débile avant de me lancer sur un ton de pétasse en pleine confidence :

-Enolaaaa, je te voiiiiiis.

Et puis elle se barre en courant. Cette meuf est tellement aléatoire que pour ne serait-ce que tenter de prévoir sa réaction, il faudrait prédire tout le contraire de ce qu'une personne ferait dans un cas déjà étrange. Mais je l'aime bien. Elle met les gens de bonne humeur et fait partie d'aucun groupe. Elle virevolte entre chaque, occupée à faire chier tout le monde. Sa grande chevelure blonde brille de mille feux et ses yeux bleus pétillent sans jamais s'arrêter. 

-Enoo ! 

Je reconnaîtrais cette voix stridente entre mille. Jessica. Elle s'approche de moi tout essoufflée par la course contre la montre qu'elle vient d'entreprendre. Cette meuf, jamais je l'ai vue arriver à l'heure quelque part. Le jour où ça arrive, il faudra prévoir la fin du monde. Malgré ça, elle est toujours joyeuse et un sourire constant illumine son visage gonflée. Elle est un peu en surpoids, mais malgré son ventre rond et proéminent, elle est tellement énergique qu'elle donne le tournis. 

Habillée de son habituel jogging noir, pull noir et air force one, elle est également affublée de son eastpak qui semble étrangement peser dix tonnes de moins que le mien. La sonnerie retentit. 



MenteuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant