Chapitre 4

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Un marteau imaginaire tambourine dans mon crâne. La chaleur me brûle assez les yeux pour les rougir. Haletante, je tente de calmer les battements de mon cœur. Pady tape du pied. Quatrième essai peu concluant. Je pensais m'être améliorée mais ce n'est visiblement pas suffisant. Les viomynites de cette matinée sont beaucoup plus lourdes. Mes visions ne parviennent pas jusqu'au bout.

« Dhaba arrive dans la journée, et le Grand Conseil est dans une semaine ! houspille mon ainée, exaspérée. Es-tu seulement consciente de l'embarras dans lequel tu nous mets ?
— Désolée... soufflé-je, la gorge sèche.
— Tes excuses ne vont rien y faire ! Tu es née avec ce don, sa maîtrise ne devrait pas être aussi laborieuse ! »

La fermeté de son ton me paralyse. Je déteste la voir énervée. Ses cent pas sont frénétiques et son regard est sombre. Je ne suis jamais à l'abri de ses baffes orales, surtout à cette période. L'échéance approche et je ne suis toujours pas prête. Je m'en veux. Enormément. Je ne veux pas être un poids, ni pour elle, ni pour Dhaba, mais j'ai beau m'accrocher, les images finissent toujours pas s'estomper.

« Je suis désolée... redis-je, honteuse. Je t'assure que je suis arrivée au bout d'une viomynite, hier soir.
— Et c'est assez pour te rendre fière ? renchérit-elle, bouillonnante. N'espère pas atteindre le niveau de Dhaba au rythme d'une légère viomynite par jour !
— J'essaie mais à chaque fois les douleurs sont insupportables !
— Ce n'est pas si compliqué ! Tu fixes la ligne et tu t'y accroches ! Bon sang ! »

Mes épaules se crispent. Mon dos m'irrite. Je n'ai pas la force de relever la tête. Pady pousse un grognement avant de se laisser tomber sur son fauteuil. Ses doigts vont et viennent sur son front. Un lourd silence écrase la pièce. Je n'ose rien dire, craignant une nouvelle vague de sermons.

Par chance, un messager frappe à la porte pour nous apporter à chacune une lettre scellée comportant les initiales de Dhaba. Le visage de Pady s'illumine. Gaiement, elle s'empresse de saisir l'enveloppe et d'en sortir le contenu. Je l'imite avec un enthousiasme plus modéré. La Grande-Sabya s'excuse de son retard, elle arrivera finalement dans trois jours, au soir. Sa ponctualité, je commence à la connaître. Le sourire de Pady se dissipe aussitôt. Par la même occasion, le gentilhomme nous informe que la table de sa majesté est prête.

***

Sur la table de verre est soigneusement dressée une vaisselle chryséléphantine. Les couverts scintillent autant que l'or qui orne les murs. Le plafond forme une immense œuvre d'art au centre duquel naît un imposant lustre de cristal. Les lueurs pastels du vitrail éclairent la seule chaise en bout de table, vide. Les places restantes sont également inoccupées.

Un majordome nous guide à nos sièges qui grondent au moindre déplacement. L'assise est si grande que deux personnes de ma corpulence pourraient la partager. Madame la Trésorière, Madame la Duchesse, Monsieur le Marquis et membres de la cour se présentent quelques temps après. La duchesse, m'ayant aperçue, contourne la table avec entrain pour me saluer de sa voix flûtée, comme si nous étions de proches amies :

« Sabya Aurome, je suis contente de vous revoir à l'occasion de ce déjeuner !
— Merci, murmuré-je, entre les dents. J'espère que vous allez bien.
— À merveille ! Le domaine est entretenu par mes soins. Sans me venter, l'organisation est une de mes qualités. Sa majesté a d'ailleurs fait appel à mes services pour le Grand Conseil. Je passerai à la Chambre des sabyas pour une visite ! »

La noble dame rejoint son siège sans manifester le moindre signe d'intérêt à ma voisine. Pady garde la tête haute mais serre les poings sous la table. Pile à cet instant, un orateur annonce l'arrivée de la maîtresse des lieux :

AUROMEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant