Sans titre Partie 1

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Le Heaume du dragon fut assemblé il y a trois siècles, à la demande d'un seigneur dragon dont l'histoire a oublié le nom. Il fut martelé à l'image d'une tête de dragon noir, cracheur d'acide. Une seule ouverture à grille laissait passer la voix du porteur, en lui donnant un timbre sourd et métallique. La vue et l'ouïe étaient remplacées par un sortilège permanent de conscience kralakù. Il était orné de deux petites cornes de vif d'argent.

Galiu'zbi archiviste, école de magie de Rélante


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Un cri strident déchire la nuit.
Une ombre rapide masque un instant la lune en déclin, faisant chanceler foi et courage parmi les troupes de Trizay.
Elles se tiennent là, sur des remparts de fortune, établies à la va-vite, pour tenter de défendre ce lieu symbolique qu'est devenu Qalen'Vidoire. Capitale des terribles Seigneurs Dragons en des temps de légende, puis cité perdue, maudite et hantée par les morts, elle venait tout juste d'être purifiée, promesse de vie et de paix.
Sur un monticule de gravats, ruine d'un vaste bâtiment dont seuls les historiens connaissaient l'histoire, devenus colline au fil des décennies, se tenaient maintenant un campement fortifié. Un vieux pan de mur, une solide palissade et une tour de guet accueillent une cinquantaine de soldats inquiets.
Appelé à être L'Élu des dieux protecteurs de Rélante, Trizay en avait rassemblé les saintes reliques, envoyé au repos éternel Uzel' Dan, cruelle liche devenue maîtresse des lieux, et délivrée chaque pierre de la présence du mal. Sur ces ruines l'espoir pouvait renaître, des foyers être bâtis, la nature fleurir.
Cependant Trizay et ses compagnons avaient eu à affronter dans le même temps un autre ennemi : les dragons.
Linizande'Erkenbrand était l'une d'entre eux, et elle avait, entre autres perfidies, fini par rassembler une armée de gobelins, loups et trolls, qui n'attendait que son signal pour semer terreur et désolation. Au terme d'une longue et douloureuse quête, Riégo, paladin d'Esmad, avait arraché de sa propre main le cœur de Linizande. Et c'était ce cœur, encore palpitant de malice, que Trizay, debout sur le rempart, cherchait à protéger. Le protéger, le soutirer à cette main avide qui s'avançait sous la faible lueur de la lune. Car tant que ce cœur n'avait pas été détruit convenablement, l'armée pouvait encore être convoquée, et utilisée.
Comme une ombre dans la nuit, la cohorte des ennemis s'élança à l'assaut des dérisoires barricades dans un bruissement lugubre, alors qu'une immense forme ailée se posait avec fracas devant Trizay. La créature qui la chevauchait en descendit, silhouette massive et casquée, toute de noire vêtue, une épée à la main. Les braseros du guet avaient été renversés dans la rapide et inégale mêlée, et quelques foyers d'incendie jetaient leurs lueurs sur les deux hommes. L'adversaire de L'Élu portait une longue cape sombre, que sa marche rapide faisait voler dans son dos, comme deux ailes lourdes. Le reste de son corps semblait recouvert intégralement de bandelettes, du même noir que la nuit, comme une momie qui aurait quitté le monde des vivants. Ses deux poings étaient fermés et crispés ; il s'arrête net à trois pas de Trizay.
Homme de foi et de ferveur, zélé serviteur du Bien, Trizay savait pourtant depuis des mois qu'à cet instant les dieux protecteurs de Rélante le laisseraient seul, car libre de tout choix. Il était un des plus grands combattants de Rélante, avait défié des multitudes de gobelins, pourfendu des trolls, affronté victorieusement les dragons. Par son épée, par sa foi, il avait défendu les gens simples contre le Mal, il avait enduré le regard de glace des morts sans repos. Mais il se tenait ce soir là immobile, les bras le long du corps, sa fidèle épée au côté.
"Ce sera mon plus grand combat" s'était il dit quelques minutes auparavant.
La silhouette sombre face à lui, voix déformée par un heaume évoquant une tête de dragon, s'adressa à lui, avec déjà une pointe d'agacement :
"Vous savez ce que je suis venu chercher ?"
"Tout ce que j'ai, je l'ai reçu de ta famille, et je ne garde rien pour moi", répondit Trizay.
"Ne jouez pas avec les mots, rien ne peut nous arrêter"
"Mais je ne m'adresse qu'à toi, et ce que l'on t'a fait n'est pas fatal"
Un léger souffle fit voleter la cape de l'individu, qui se tenait légèrement courbé en avant. Son dos s'arrondissait, et les froissements des tissus évoquaient le crissement des écailles d'un dragon qui tendait le cou vers sa proie.
Un murmure sinistre s'échappa du casque : "Vizsgàgontödkat"(1)
"Effectivement je ne l'ai pas, ou plus. Et je n'en ai que faire. Je ne suis là que pour toi" "Vous ne me servez donc plus à rien" Du coin de l'œil, Trizay aperçu les soldats ennemis qui les entouraient maintenant. Ils avaient accompli leur œuvre de mort, en ce lieu où devait renaître la vie. De ces hommes tout en noir, on ne voyait à la faible lueur des flammes que le blanc de leurs yeux, et chez certaines une langue rouge léchait avec avidité des lèvres serrées.

Un bond en avant, une épée brandie à deux mains qui tournoie. La tête de Trizay, héros de Rélante roule au sol et s'arrête contre un bloc de pierre. Elle arbore un sourire triste, semblant de dernière volonté : "c'est bien quand même"
"Mettez vous en chasse, c'est une servante qui s'est emparée du cœur ! Elle ne peut pas être bien loin"
Puis se tournant vers sa monture, lui flattant l'encolure : "Ranzi, régale toi..."

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Elle courrait, courrait depuis des heures... Ou des jours plutôt. Elle ne savait plus.
La jeune servante avait reçu des mains de Trizay le cœur de Linizande, avec une moue contenue à grande peine. Voyant le grand embarras dans lequel se trouvait son maître, elle s'était spontanément proposée pour mettre la chose à l'abri. La dragonne avait trépassé depuis plusieurs semaines, mais l'organe sanguinolent palpitait encore. Elle l'enveloppa avec dégoût, le glissa dans le pan de son vêtement et disparu dans la nuit. Elle avait bien deviné le plan que Trizay ruminait depuis des jours. Confronter ce terrible Ren, pour lui laisser le temps de s'échapper. L'affronter, lui et la haine, et ne pas la laisser prendre le dessus. Jusqu'au sacrifice.

Trois jours plus tard, le chef des pisteurs n'avait plus de salive à force l'avaler. Le printemps était bien installé, la température était agréable, mais la sueur perlait sur son front. Le seigneur Ren venait d'arriver, chevauchant sa jeune dragon rouge. Qui était le plus cruel des deux ? Le maître ou celle qui exigeait de quiconque, hormis son cavalier, qu'on l'appela de son nom entier et imprononçable : "Ranzi' Ernhsnokatine". Cruel mais surtout imprévisible et terriblement instable. Les "hommes du nord", les "sauvages" comme on les appelait ici étaient farouches et fiers. Mais la colère du seigneur dépassait l'entendement.
S'agenouillant, il prit la parole en parvenant à peine à contenir le tremblement de ses jambes : "seigneur, malgré tout nos efforts, nous n'avons pu trouver la moindre trace de cette personne. Elle semble s'être volatilisée"
Pas de réaction. Le heaume à tête de dragon ne s'était même pas tourné dans sa direction.
La réponse redoutée fini par sortir, sourde, puis de plus en plus forte comme un cri étranglé : "átkoz,kérlelheséget, hadd häljana meg mind !"(2)
Et joignant le geste à la parole, Ren dégaina son épée pour s'acharner sur le poteau de la tente où se trouvaient les deux hommes. Il s'arrêta subitement, et toujours sans porter attention au malheureux pisteur, l'épée toujours en main, aboya : "doublez la zone de recherche, puis dans une semaine repliez vous sur Vilaire. Je pars informer notre chef". Dans les semaines
précédentes, deux officiers n'avaient pas eu autant de chance en tentant d'assumer leurs revers. L'un avait fini décapité, l'autre brûlé vif.



(1) sonde pensées
(2) malédiction, acharnement, qu'ils meurent tous !

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⏰ Dernière mise à jour : Mar 17 ⏰

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