« Merde. » fût la première parole que prononça Arthur, s'appuyant contre le petit lavabo de sa chambre, devant le miroir.
Une substance noire coulait de la partie manquante de son visage, où était implantée cette fichue gemme.
Une goutte tomba dans le lavabo, brisant à nouveau le silence de la pièce. Puis, à nouveau, aucun bruit. Comme ce jour où il n'y avait plus personne dans le village.
La tête baissée pour éviter son reflet, Arthur vu ses mains, couvertes de sang, comme ce jour-là.
Il s'empressa de les laver, chassant ce souvenir désagréable, mais le sang ne disparaissait pas, il voyait ses mains recouvertes de ce liquide rouge, comme figé.
Le jeune homme hallucinait, encore.
Il avait souvent eu les mains sales de la sorte, la dernière fois étant à l'instant. Le sang de gens dont il ne connaissait même pas le nom. Et aussi de ceux qu'il avait connus.
Il y a douze ans, c'était sa mère, morte sans qu'il ne puisse faire quoi que ce soit. Il y a deux ans, c'était celui des villageois, tués de ses mains. Quelques mois plus tard, Roxanne, tuée par cette chienne de Cassidy.
Une douleur stridente le ramena à la réalité. Il toussa, crachant cet affreux liquide rouge. Toujours ce sang.
Durant un instant il crut s'étouffer. Sa vision devenait floue. Il ne voyait que le rouge du liquide annonçant la mort. Sa propre mort, peut-être. Bonne nouvelle ou pas, il n'en savait rien. Peut-être qu'il allait mourir, maintenant, étouffé, seul, dans sa chambre sinistre. Et ça serait fini, plus de souffrance, plus d'hallucinations, plus de haine, plus de cauchemars.
Arthur repensa à tous ces corps inertes qu'il avait vus. Parfois il s'était demandé s'il aimerait être à leur place.
Il ne pouvait pas, non. Pas maintenant. Pas avant sa vengeance. Mais était-ce uniquement pour celà ? Non. Il avait peur. La mort l’effrayait. Il ne voulait pas mourir. Malgré toutes les personnes qu'il tuait, Arthur ne voulait pas finir comme eux. Pas seul. Surtout pas seul. Pas encore. Il finissait toujours seul.Sa quinte de toux cessa.
Était-ce une larme coulant de son œil ? Il n'en avait aucune idée. Ça faisait mal. Il ignorait où. Partout.
Il respira à nouveau, relevant la tête. Cependant, ce ne fût pas son visage qu'il aperçut dans le reflet, mais celui de son père.
Le jeune homme lui ressemblait de plus en plus. Et s'il finissait comme lui ? Et s'il ne valait pas mieux que lui ?
Il ferma son œil, chassant ce regard impassible et froid, qui n'avait rien de paternel. Ces yeux qu'il haïssait.
Puis, rouvrant son unique œil, il se vit, lui-même. Flou, tordu, puis seulement la gemme, puis du noir, puis son visage recouvert de sang, puis Claus, puis Cassidy, puis sa mère, puis son père, puis lui et sa gueule piteuse, puis rien, tout tournait, il voyait son œil manquant, le jour où il l'avait perdu.Son cri. Son propre cri ce jour-là résonnait dans sa tête.
« Papa ! J'ai mal ! Ça fait mal ! Ça brûle ! »
Il fronça les sourcils, sentant un picotement à l'emplacement de cette gemme.
« J'AI MAL ! »
Roxanne le regardait depuis le miroir. Elle devait le trouver ridicule à l'instant. Est-ce qu'au dernier moment, elle l'avait détesté ? Lorsqu'il hurlait, suppliant son père d’arrêter, criant de le lâcher, impuissant au moment où Cassidy pointait un pistolet contre la tempe de la jeune femme.
« ARRÊTE ! LÂCHEZ-MOI ! S'IL-TE-PLAÎT, PAPA ! JE T'EN SUPPLIE ! »
Ridicule.
Une autre goutte de sang tomba, suivie d'une douleur stridente, comme si son crâne se fendait en deux. Il avait l'impression que l'on arrachait la gemme, que l'on plantait des milliers d'aiguilles dans son œil inexistant, que l'on y avait mis feu. Ça brûlait. Ça brûlait vraiment. Affreusement.
Les scientifiques qui le traînaient. Son père qui s'en fichait, qui ne réagissait pas alors qu'il lui demandait de ne pas y aller. Il ne voulait pas entrer dans cette salle.
Leur seringue qui s'enfonçait dans son bras. La douleur. Son corps entier brûlait.
Le corps inerte de sa mère.
Les villageois qui hurlaient, qui couraient, terrifiés. Beithe, figé. Dagan, qui pleurait.
La détonation du revolver. Le corps de Roxanne qui s'effondrait.
Sa dispute avec Felix.
Les yeux glacials de son père.
Le sourire arrogant de Claus.Tout se mélangeait. Du noir, du rouge, du bleu, du vert, du noir, du rouge, toujours du rouge, pleins de rouge, du flou, des distorsions, des cauchemars, ces entités terrifiantes qu'il créait dans ses pires hillusions, les fantômes du passé. Et son corps qui brûlait.
Cette gemme brûlait. Des lames semblaient le transpercer.
Sa mère était morte. Roxanne était morte. Ses parents adoptifs étaient morts. Les villageois étaient morts. Son bonheur était mort.
Sa gemme brûlait. Des milliers d’aiguilles.
La seringue des scientifiques. Ces mêmes scientifiques, morts. Le laboratoire ravagé et en feu.
Ça brûle. Ça pique. Ça gratte. Il avait envie de hurler. Il hurla.
Il tenait sa tête dans ses mains, comme si cela allait changer quelque chose, et il hurlait, il criait. Ça faisait si mal. Il ne voyait rien. Tout était confu.
Quelqu'un, pitié. Il allait mourir, c'était sûr. Ça faisait trop mal. Ça brûlait.
Il sursauta, une main agrippa son bras.
– LÂCHE MOI !! »
Il n'entendait pas ce qu'on lui répondait.
– LÂCHE MOI J'AI DIT ! ÇA BRÛLE ! »
On le forçait à avaler quelque chose. Il ne résistait pas. Il avait trop mal pour résister.
Il toussa. Mais il avait trop mal pour voir s'il y avait du sang ou pas. Pourtant il voyait toujours rouge.
Ses oreilles criaient aussi, un bruit aigü et dérangeant. Tous les hurlements de détresse de ses victimes.
Il heurta quelque chose. Le sol, probablement. Puis rien. Le vide. Le noir. Plus de rouge. Le silence. Plus de son aigü. Plus de cris. Ça ne brûlait plus. Plus d’aiguilles. Plus rien. Était-il mort ?
…
Il ouvrit son seul œil. Il était dans son lit. Il crût que son père était là, mais non. C'était Lucie, l'assistante.
Arthur reprenait ses esprits. La jeune scientifique le remarqua, et déjà elle lui posait des questions. D'un geste de la main, le jeune homme lui demanda de se taire.
Un moment de silence après sa crise. Puis, il la laissa parler. Celle-ci lui demanda les mêmes choses que d'habitude.
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