Tout semblait flou autour de moi. Des jets de lumière m'aveuglaient. D'après les mouvements répétés de sa mandibule, il me semblait que j'étais supposée entretenir une conversation avec le grand badaud en face de moi. Il ne cessait de pencher sa tête vers moi de façon insistante, et je ne comprenais toujours pas un mot de ce qu'il disait.
Je pris une énième gorgée du breuvage que contenait mon verre, bien que je fus incapable d'en identifier la nature. J'avalai péniblement. Quand avais-je commandé cette boisson ? Je ne me souvenais même plus combien de verres j'avais eu avant celui-ci, ayant perdu le compte depuis un bon moment déjà. Le bar était bondé, tout le monde semblait bien s'amuser. Quel était leur secret ?
- Alors, t'en penses quoi ? me héla mon interlocuteur, dont j'avais déjà complètement oublié l'existence.
Face à son regard interrogateur et ses yeux brillants d'une excitation perverse, je me demandai vaguement quelle question il avait bien pu me poser, mais ne parvins cependant pas à y accorder assez d'importance pour m'y intéresser sérieusement. Sa tête ne m'était pas familière, et aucun indice me permettait de deviner depuis combien de temps il m'avait abordée.
- Quoi ? coassai-je, m'agrippant au rebord du bar afin de maintenir un semblant d'équilibre.
Le monde tanguait autour de moi. La musique était bien trop forte, et j'étais tellement anesthésiée par l'alcool que j'avais l'impression que mon corps entier était dorénavant fait de coton. Sans aucun scrupule, j'esquissai un semblant d'excuse au gars, balayant la scène d'un revers de la main, et tentai de me frayer un chemin à travers la foule. Je me dirigeai vers la sortie du bar bondé, quand, à deux pas de la porte, je percutai un mur de plein fouet. L'intégralité de mon verre se renversa sur moi, aspergeant mes vêtements. J'étais trempée.
- Wow, fais attention où tu vas, putain, gronda une voix.
Je me figeai. Depuis quand les murs parlaient-ils ? Levant le nez de mon verre désormais vide, je scrutai le brouillard afin de déterminer la source de la voix, et il me sembla distinguer une silhouette à l'apparence humaine. Son regard se posa sur moi, et il me reluqua de bas en haut, s'arrêtant un peu trop longtemps sur mon haut trempé. Je croisai les doigts intérieurement, priant pour que j'aies eu le bon sens de mettre un soutien-gorge, mais je n'en étais pas sûre du tout. En réalité, je n'étais même pas sûre de savoir comment j'étais arrivée dans ce bar en premier lieu.
- Désolée, marmonnai-je, j'ai besoin de prendre l'air...
Il ne s'écarta pas de mon chemin pour autant. L'homme, que j'avais d'abord pris pour un mur, me dépassait d'une tête et semblait en proie à un conflit intérieur. L'esprit embué, j'avais du mal à distinguer les traits de son visage mais je remarquai qu'il portait une chemise blanche, trempée elle aussi. J'étouffai un ricanement, avant de me ressaisir et de le défier de mon air le plus sérieux possible. Se demandait-il s'il devait me gronder davantage, ou bien savait-il que la nature - ou la quantité monstrueuse d'alcool ingérée - se chargerait de mon cas d'ici une demi-heure ? Malgré moi, je pouffai à nouveau.
Sa silhouette vacillait devant moi, un peu trop à mon goût, quand, soudain, le sol se dématérialisa. D'instinct, je m'accrochai à son bras pour m'éviter une chute monumentale. D'un geste habile, il m'agrippa au niveau du coude et m'empêcha de m'écraser au sol. Bons réflexes, je pensai. Il me toisa derechef, puis émit un long soupir.
- OK, allez, je vais t'aider à prendre l'air. On y va.
Il passa son bras au niveau de ma taille, et plaçai le mien autour de ses épaules. Ravie d'avoir un support auquel m'accrocher, je me laissai docilement diriger à l'extérieur. L'air frais me fis instantanément du bien, et, la musique devenue plus lointaine, confinée à l'intérieur du bar, mon impression de coton se fit plus confortable. Mes oreilles bourdonnaient. Je flottai. J'étais si insouciante du monde qui m'entourait que je remarquai à peine que l'on m'avait déposée sur l'un des bancs qui jonchaient le trottoir. Un frisson me parcourra cependant, ce qui me rappela que j'étais probablement trempée. J'avais la tête qui tournait...
- T'as des copines à l'intérieur ? Quelqu'un pour s'occuper de toi ? s'enquérit l'inconnu.
Je fis rouler ma tête sur mes épaules pour placer son visage dans mon champ de vision et tentait de le dévisager. Un rire m'échappa. J'étais tellement torchée qu'il semblait avoir deux têtes. Quatre yeux. Quatre beaux yeux verts.
- Où est mon verre ? articulai-je fébrilement.
Ma bouche était pâteuse, et je fus surprise par le son de ma propre voix, qui sonna complètement étrangère à mes oreilles. Encore une fois, je ne parvins cependant pas à y accorder une quelconque importance. A quoi bon ?
- T'as assez bu je pense, répliqua t-il sèchement. Réponds à ma question.
Il avait l'air agacé. Pourquoi les gens s'agaçaient-ils autant ? J'aurais aimé lui expliquer, lui faire comprendre à quel point il avait tort de ressentir... Quoi déjà ? J'oubliai instantanément le cours de mes pensées, ne parvenant pas à me raccrocher assez à la réalité pour leur donner une quelconque consistance.
- Non, finis-je par grogner.
- Non, quoi ? s'impatienta t-il.
Ses têtes s'étaient multipliées, comme l'Hydre de Lerne. J'essayai de les compter, mais abandonnai rapidement, sans succès. Les mots se bousculaient dans ma tête, rien ne faisait sens. Tout était si flou, si lointain, j'étais complètement ailleurs. Mes yeux luttaient pour rester ouverts. Concentre toi, m'ordonnai-je. Je pris une profonde inspiration, et invoquai toutes les ressources physiques et mentales dont j'étais capable, aussi maigres fussent-elles, pour parvenir à émettre une réponse intelligible.
- Personne, soupirai-je, je suis venue seule...
J'avais dit cela dans un souffle. Mon dernier souffle, pensai-je. Déjà lasse de cet échange, je commandai aux muscles de mes jambes de me lever. Il fallait que je reprenne un verre.
- Attends, t'es pas en état de... commença t-il, esquissant un geste pour me retenir.
Soudain, le monde vrilla devant mes yeux. Comme si la scène défilait au ralentit, j'aperçus vaguement l'image de pavés de pierre froide se rapprochant, encore et encore, de plus en plus près... Une chevelure brune... Ou quatre... Des yeux verts écarquillés... Une ribambelle de mains trop lentes à réagir... Les pavés... Trop proches...
Ma tête heurta brutalement le trottoir, et je perdis connaissance.
***
YOU ARE READING
Whatever
General FictionL'histoire poignante de Nova, une jeune femme brisée par la vie. Après avoir été confrontée à une série d'épreuves déchirantes, elle lutte pour remonter la pente, mais chaque pas en avant semble être suivi d'une chute encore plus profonde dans les a...