chapitre 1

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En ce premier jour des vacances d'été, Poppy apprit qu'elle allait mourir.

 C'était le lundi, le premier jour officiel (le week-end ne comptait pas). Elle s'éveilla le cœur léger en savourant la fin de l'école. Le soleil brillait à la fenêtre et venait donner une teinte dorée à ses draps. Poppy les repoussa, posa les pieds par terre et tressaillit. ouille! Encore cette douleur dans le ventre. Comme si une mâchoire lui dévorait les entrailles pour se frayer un chemin vers son dos. Ça allait un peut mieux quand elle se penchait en avant.Non, se dit-elle. Je refuse d'être malade pendant les vacances. Je refuse. Un peu d'entrain et tout devrait rentrer dans l'ordre. Pliée en deux- sois positive, imbécile!, Elle traversa le couloir pour se rendre dans la salle de bains au carrelage turquoise et or. Elle se croyait sur le point de vomir lorsque la douleur disparut, aussi subitement qu'elle était arrivée. Poppy se redressa et considéra d'un air triomphant son reflet échevelé dans le miroir. 

-Fait-toi confiance, ma fille, et ça ira, se murmura-t-elle avec un clin d'œil complice. Elle se pencha en avant, ses iris verts écarquillé de surprise devant les quatre taches de rousseur qu'elle venait de découvrir sur son nez. Quatre et demie, à vrai dire. Ça lui donnait un air enfantin, tout mignon. Elle se tira la langue avant de détourner avec grâce, sans peigner ses boucles cuivrées qui tombaient en bataille sur sa nuque. La tête haute, elle entra dans la cuisine ou Phillip, son frère jumeau, mangeait des céréales.De nouveau, elle écarquilla les yeux, l'air morose. Elle se trouvait trop petite à son goût et n'appréciait pas sa silhouette menue ni ses cheveux bouclés qui lui donnaient l'air d'un lutin tout droit sorti d'un livre de contes pour enfants. pour-tant, elle était affublée d'un jumeau blond et athlétique comme un Viking, à la beauté si classique... le monde était si mal fait! 

-Salut, Phillip, lança-t-elle d'un ton menaçant. Habitué aux sautes d'humeur de sa sœur, celui-ci ne réagit pas. Il finit seulement par lever les yeux de la page BD de son journal. Les jumeaux n'avaient en commun que leurs prunelles vertes habillées de longs cils. 

-Salut, répondit-il en replongeant dans sa lecture. L'un et l'autre venaient d'achever leur première au lycée d'El Camino. Phillip n'avait obtenu que des bonnes notes, tout en intégrant les équipes de football, hockey et de base-ball. Il avait aussi été élu délégué de la classe. Poppy adorait le taquiner car elle le trouvait trop coincé.

 -Ou sont Cliff et maman? demanda-t-elle d'un ton enjoué. Cliff Hilgard était leur beau père depuis trois ans et encore plus coincé que Phil.

 -Cliff travaille, répondit ce dernier. Quand à maman, elle s'habille. Tu devrais manger quelque chose, sinon elle ne va pas te lâcher.

 -Ouais...Sur la pointe des pieds, elle alla chercher dans le placard une boîte de corn-flakes dont elle tira délicatement un pétale qu'elle mit directement dans sa bouche. Ce n'était pas si mal de ressemblé à un elfe... En trois pas de danse, elle rejoignit le réfrigérateur, rythmant ses mouvements avec la boîte de céréales.

 -Je suis une fée sexy! chantonna-t-elle 

-N'importe quoi! maugréa son frère pas impressionné du tout. Tu ferais mieux de t'habiller. Devant la porte ouverte du frigo, elle jeta un regard sur son tee-shirt trop grand qui lui servait de chemise de nuit.

 -Je suis habillée, crut-elle bon de préciser en sortant un Coca light. On frappa à la porte qui donnait sur la cour. D'un coup d'œil à la fenêtre, Poppy identifia le visiteur.

 -Salut, James! Entre. Sur le seuil, James Rasmussen ôta ses Ray-Ban. Elle avait beau le voir à peu près tous les jours depuis dix ans, Poppy éprouvait chaque fois la même émotion, un pincement au cœur qui la bouleversait dès qu'il apparaissait. Elle lui trouvait un petit air de révolté qui faisait penser a James Dean, avec ses cheveux châtains et son regard gris à la fois intense et apaisant. Si on pouvait honnêtement le considérer comme le plus beau gosse d'El Camino, ce n'était pas ça qui impressionnait Poppy mais plutôt ce petit quelque chose d'impérieux, de mystérieux, d'inaccessible qui la faisait vibrer.Ce qui n'était certes pas le cas de Phillip. Dès qu'il aperçu James, il se raidit et son expression se figea. Une désagréable tension régnait entre ces deux-la. L'air un rien moqueur, James lança : 

 -Salut, Phil!Ce qui n'eut pas pour effet de radoucir ce dernier.

 -Salut, marmonna-t-il.Poppy avait l'impression que, s'il le pouvait, il la ferait immédiatement sortir de la pièce. Il avait toujours aimé jouer les grands frère protecteurs.

 -Comment vont Jacklyn et Michaela? ajouta-t-il d'un ton mauvais.

 -À vrai dire, rétorqua James pensif, je n'en sais rien. 

-Comment ça? Ah oui, c'est vrai que tu laisses toujours tomber tes copines avant l'été, histoire de garder les mains libres pour les vacances

 -Exactement, sourit James.Phillip le fusilla du regard tandis que Poppy se sentait bondir de joie. Bye bye, Jacklyn et Michaela, bye bye, le faon aux longues jambes, bye bye la starlette aux seins ravageurs. L'été s'annonçait sous les meilleurs auspices.Tout le monde ou presque croyait que Poppy et James n'entretenaient qu'une relation platonique. Ce n'était pas tout à fait vrai... Voilà des années que Poppy en était persuadée : c'était lui qu'elle épouserait. Cela faisait partie de ses deux plus grande ambitions dans la vie, l'autre consistant à voyager à travers le monde. Tout simplement, elle n'avait pas encore eu l'occasion de prévenir James. Pour le moment, il croyait toujours qu'il aimait les filles aux longues jambes, aux ongles carrés et aux chaussures italiennes.

 -C'est un nouveau CD? demanda-t-elle pour le détourner de son futur beau-frère. James lui montra l'album:

 -C'est le dernier enregistrement d'Ethnotechno. 

-Encore des chants diphoniques mongols de Touva. J'ai hâte d'entendre ça!Ce fut le moment que choisit leur mère pour entrer: blonde et sublime, parfaitement maîtresse d'elle-même, elle évoquait irrésistiblement une héroïne d'Alfred Hitchcock. Cependant, comme Poppy sortait à cet instant, elle faillit le renverser au passage. 

-Pardon... bonjour!Elle rattrapa sa fille par l'encolure de son tee-shirt. 

-Minute,toi! Bonjour, Phil, bonjour James.Les deux garçon lui répondirent en chœur, l'un aimablement, l'autre avec une politesse quelque peu ironique.

 -Tout le monde a pris son petit déjeuner?poursuivit-elle. Même toi, Poppy?Celle-ci agita la boîtes de céréales. 

-Je parie que tu n'as même pas mis de lait avec, insista sa mère.

-C'est meilleur nature, marmonna la jeune fille en sortant quand même une brique. 

-Qu'allez-vous faire de votre premier jour de vacances? demanda Mme Hilgard en jetant un coup d'œil sur James et Poppy. 

-Je n'en sais rien, dit cette dernière en consultant James du regard. Écouter de la musique, se balader dans les collines ou faire un tour à la plage? 

-Comme tu voudras, répondit James. On a tout l'été devant nous.L'été, qui s'annonçait chaud, doré, resplendissant, qui évoquait la piscine et la mer, l'herbe des prairies, tous ces mois de liberté, trois mois long comme l'éternité...Dire que c'était enfin vrai!

 -On pourrait aller voir les nouvelles boutiques du Village...Elle n'eut pas le temps d'achever sa phrase que sa douleur la reprit, lui coupant le souffle. Si violente qu'elle se plia instinctivement en deux. La brique tomba par terre et tout devint gris. 

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 01, 2015 ⏰

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