Un regard de serpent. Froid, calculateur, sournois. Dénué d'humanité. L'ombre d'un regret, peut-être, furtive, sans doute imaginée, je ne sais pas.
C'est comme un vent givré qui me glace jusqu'aux os, jusqu'à cristalliser le sang pourpre dans mes veines. Tout fait sens, soudain. Ça paraît tout à coup extraordinairement limpide. Clair comme l'eau d'une source. Ça saute aux yeux, comme une évidence jusque-là camouflée. Comment ai-je fait pour ne pas m'en rendre compte ?
C'est toi.
Et tu as toujours eu ce regard-là.
Je marche vers la potence. Je marche vers la mort. Ou plutôt, on m'y force. La foule me dévisage, silencieusement compatissante. Je croise des paires d'yeux épouvantés, rageurs, horrifiés, neutres ou juste las. Mais ils vont me regarder mourir sans broncher. C'est leur quotidien.
À combien d'exécutions sommaires ont-ils assistés, depuis leur plus tendre jeunesse ? Combien d'injustes pendaisons ont eu lieu sous ce sinistre arbre ?
Je crois qu'ils ne sont pas si différents des spectateurs du Capitole.
Je hurle, je me débats, je supplie. Je crois. Je suis dans un état second, un peu comme si mon corps et mon esprit s'étaient dissociés. La poigne des Pacificateurs est inextricable. Ils m'entrainent vers l'estrade. La corde se balance au vent, elle n'attend que moi.
Je croise de nouveau ton regard, Coriolanus. Le regard d'un serpent, hypocritement voilé par la tristesse. Tu m'as trahi. Tu m'as dénoncé. Je le sais.
Il n'y a que toi qui pouvais le faire.
Je n'ai jamais eu d'ami, depuis que je suis arrivé au Capitole. J'étais perdu entre les gratte-ciels gris et le ciel pollué, noyé dans la répugnante mesquinerie de tous ces gens prêts à se faire vomir pour manger plus quand d'autres n'avaient pas un croûton de pain. Tous ces gens qui regardaient des enfants s'entretuer en direct sans une once de remord.
J'ai cru que tu étais différent. J'ai cru que nous étions amis. Stupide, n'est-ce pas ? Tu t'es facilement joué de moi, je n'ai pas douté une seconde de ta sincérité. J'ai naïvement pensé que tu m'avais épaulé, sauvé la vie, parce que tu tenais à moi. Mais non. Depuis le début, tu ne visais sûrement que l'argent de mon père, le prestige, la gloire. Alors chaque sourire était feint ?
Tu es exactement comme tous les autres. Non, c'est encore pire.
Je te voyais comme mon meilleur ami mais pour toi, je n'ai été qu'une monnaie d'échange. Contre quoi ? Une gradation ? L'absolution pour ton meurtre ? Une décoration ?
Ne valais-je que cela à tes yeux ?
Tu n'as vu en moi qu'une donnée exploitable. Un tremplin pour accéder à tes ambitions. Un ascenseur vers le succès. Je parierai un empire que tu n'as jamais ressenti la moindre amitié à mon égard. J'ai été une marionnette qu'on manipule à sa guise.
J'ai été dupé.
Et je vais en mourir.
Je ne veux pas mourir. J'ai peur, une peur qui glace les os et engourdit l'esprit. Une terreur telle que je n'en ai jamais connue. J'ai déjà failli mourir ; en m'engouffrant dans l'arène, je pensais en finir après avoir rendu un dernier hommage à Marcus. Mais ce n'est pas pareil.
Je ne veux pas finir au bout d'une corde dans l'indifférence générale, mourir en pensant que mon meilleur ami m'a trahi. Je voulais changer les choses. Changer ce monde corrompu et pourri jusqu'à la moelle où chacun est acteur de l'atrocité. J'aurais peut-être pu, si je n'avais pas été aussi crédule et stupide. Je me suis précipité, sous l'émotion, comme toujours, mais cette fois, ça me sera fatal. Il n'y a plus mon père et son argent ou toi, Coryo pour me rattraper.
On me pousse. Je me rapproche inexorablement de la corde. De la potence. De la mort.
Je lève les yeux. Je vois Lucy Gray, l'air horrifiée, qui a quitté sa robe chatoyante pour une tenue austère, le visage trempé de larmes. Pauvre Lucy Gray. Je voudrais la prévenir du danger. Elle est trompée, illusionnée, elle aussi, sur ta véritable nature. Elle ne sera qu'une victime de plus sur ton sillage.
Personne n'a vu tes yeux de serpent prêt à mordre comme je les vois aujourd'hui. Lucy Gray, Tigris, Clemensia, le doyen Highbottom, la docteure Gaul, tous ceux qui t'ont côtoyé jusque-là ignorent qui tu es vraiment.
Tu aimes épingler des roses blanches d'une pureté immaculée sur tes vêtements. Elles sont ton emblème. Ce n'est qu'un faux-semblant, n'est-ce pas ? Tu veux renvoyer la même image qu'elles. L'innocence. La perfection. Mais la fleur qui te correspond réellement, c'est une rose cramoisie. Bouffie d'orgueil, d'une élégante cruauté, d'une incontrôlable ambition.
Une rose souillée du sang que tu as versé, que tu vas faire couler aujourd'hui et que tu répandras demain.
Tu as gagné, Coryo. Tu as bien joué. Et moi, j'ai perdu une partie que je n'avais même pas conscience de disputer. Plaçant tes pions avec stratégie sur l'échiquier, manipulant dans l'ombre, corrompant les plus honnêtes. Je parie que ce n'est que le début de ton ascension. J'ai peur de ce que Panem va devenir sous ton joug.
Je ne serais pas là pour le voir. Je crois que c'est mieux ainsi, finalement.
Comment n'ai-je jamais vu cette lueur calculatrice dans ton regard ?
J'ai été d'une naïveté sans nom de croire que je pourrais changer ce monde.
On a passé la corde autour de mon cou. Je sens son étreinte suffocante autour de mes vertèbres, comme un serpent sournois qui étouffe sa proie. Je hurle le nom de ma mère avec l'énergie du désespoir comme si elle pouvait m'entendre, me sauver.
Et le sol se dérobe sous mes pieds.
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Crimson Rose | One Shot Hunger Games
FanfictionQuand Sejanus, traîné vers la potence, voué à une mort inéluctable, croise le regard de Coriolanus, il comprends que celui qu'il a considéré comme son frère l'a trahi. ↬ Court one shot Hunger Games